La charrue avant les miracles

La charrue avant les miracles

Les chemins vers la puissance.4 -  La connaissance de la vérité ne suffit pas ; on doit se conformer à la vérité si on veut connaître, par une expérience réelle, la félicité qui est décrite dans ce petit livre.

« Défrichez-vous un champ nouveau ! Il est temps de chercher l'Éternel, jusqu'à ce qu'il vienne, et répande pour vous la justice » (Osée 10 v. 12). Nous avons ici deux sortes de terres, une terre inculte et une terre labourée par la charrue. 

La terre en friche est béate, satisfaite, protégée du choc de la charrue et de l'action énergique de la herse. Un tel champ, laissé à son état naturel année après année, devient le lieu de prédilection de la corneille et du geai bleu. Si ce champ était doué d'intelligence, il pourrait s'enorgueillir de sa réputation. En effet, il offre de la stabilité, il a été adopté par la nature elle-même. On peut compter sur lui pour rester tel qu'il est, alors que les terres environnantes passent du brun au vert et du vert au brun. Sûr et paisible, il se vautre paresseusement au soleil, offrant l'image d'un contentement béat. 

Cependant, il paie un prix élevé pour sa tranquillité, jamais il ne voit le miracle de la croissance, jamais il ne sent le mouvement de la vie en formation, ni les merveilles de l'éclosion de la semence, ni la beauté du grain mûrissant. Il ne saura jamais ce que c'est que du fruit, parce qu'il a peur de la charrue et de la herse. 

En opposition directe à ce triste tableau, le champ cultivé s'est abandonné à l'aventure de la vie. La barrière protectrice s'est ouverte pour laisser passer la charrue, et la charrue est venue comme toutes les charrues, pratique, cruelle, tranchante et pressée. La paix a été rompue par les cris du fermier et le bruit des machines. Le champ a senti les douleurs de la transformation, il a été dérangé, retourné, meurtri et brisé, mais ses souffrances seront bientôt récompensées. 

La lumière du jour voit émerger de la terre le miracle de la vie, pousse minuscule, curieuse de voir et d'explorer le nouveau monde au-dessus d'elle. Partout dans le champ la main de Dieu est à l'œuvre dans ce travail de création séculaire et cyclique. De nouvelles choses naissent pour grandir, mûrir et accomplir la grande prophétie latente déposée dans la graine au moment où elle a été enfouie dans la terre. Oui, en vérité, la charrue précède les merveilles de la nature.

Il existe également deux sortes de vies, la vie en friche et la vie labourée. Nous n'avons pas besoin d'aller bien loin pour trouver des exemples de la vie en friche. Il y en a beaucoup trop parmi nous. L'homme dont la vie est en jachère est satisfait de lui-même et des fruits qu'il a un jour produits. Il ne veut pas être bousculé. Il sourit, dans une attitude de supériorité tolérante, à tout ce qui s'appelle réveil, jeûne, recherche personnelle, et dur labeur précédant la récolte, ainsi que fébrilité qui accompagne le progrès. L'esprit d'aventure est mort en lui. Il est pondéré, « fidèle », toujours à sa place habituelle (comme le vieux champ en friche), modéré, et, en quelque sorte, il fait figure dans la petite église.

Mais il ne porte pas de fruits. Le malheur avec une telle vie, c'est qu'elle est figée, tant dans sa forme que dans son contenu. Le verbe être a pris la place du verbe devenir. La pire chose que l'on puisse dire d'un tel homme, c'est qu'il est ce qu'il sera. Il s'est entouré d'une clôture, et, par ce geste, s'est privé de la puissance de Dieu et du miracle de la moisson. 

La vie labourée est celle qui, dans un acte de repentance, a fait tomber la clôture protectrice, et a mis la charrue de la confession dans son âme. L'influence de l'Esprit, la contrainte des circonstances, et la détresse d'une vie stagnante ont parfaitement joint leurs efforts pour humilier le cœur. Une telle vie a mis à l'écart toute défense et a renoncé à la sécurité d'une vie stérile, pour accepter les risques d'une vie fructueuse. 

L'insatisfaction d'une vie inutile, une aspiration profonde, le repentir, l'obéissance courageuse à la volonté de Dieu, toutes ces choses ont meurtri et brisé la terre jusqu'à ce qu'elle soit à nouveau prête à recevoir la semence. Bien sûr, comme toujours, le fruit a succédé à la charrue. La vie et la croissance commencent quand Dieu « fait pleuvoir sa justice ». Un tel homme pourra témoigner : « Et la main du Seigneur était sur moi en ce jour-là ». 

L'histoire religieuse fait état de deux périodes qui correspondent à ces deux genres de vie : La période dynamique et la période statique. 

Les périodes dynamiques sont celles qui ont vu les enfants de Dieu se stimuler mutuellement pour obéir aux commandements de Dieu, et sortir sans crainte pour proclamer au monde le témoignage de son nom. Ils ont échangé la sécurité de l'inaction contre les risques de l'avancement qui leur était inspiré par Dieu. De telles actions étaient immanquablement suivies de la puissance de Dieu. En effet, le miracle de Dieu se manifestait quand et là où le peuple de Dieu se manifestait ; et il s'arrêtait chaque fois que son peuple s'arrêtait. 

Les périodes statiques sont celles où le peuple de Dieu s'est lassé du combat et a cherché une vie de paix et de sécurité. Pendant ces périodes, ils se sont évertués à conserver les gains qu'ils avaient acquis au cours des périodes plus audacieuses, quand la puissance de Dieu marchait au milieu d'eux. 

L'histoire biblique abonde en exemples à ce sujet. Quand Abraham est « sorti » pour sa grande aventure de la foi, Dieu est sorti avec lui. Mentionnons quels en ont été les résultats. Des révélations de la part de Dieu, des apparitions, le don de la Palestine, des alliances et des promesses de riches bénédictions à venir. Puis Israël est descendu en Egypte, et les miracles ont cessé pendant quatre cents ans. Au bout de ce laps de temps, Moïse a entendu l'appel de Dieu et s'est levé pour mettre au défi l'oppresseur. 

Une explosion de puissance a accompagné ce défi, et le peuple d'Israël n'a pas tardé à se mettre en marche. Aussi longtemps que le peuple d'Israël osait poursuivre sa marche, Dieu envoyait ses miracles pour ouvrir la voie devant eux. Mais chaque fois que le peuple tombait dans l'inertie comme un champ en friche, Dieu détournait ses bénédictions et attendait de voir son peuple se lever de nouveau pour lui accorder sa puissance.

Nous avons ici une brève mais juste esquisse de l'histoire d'Israël, tout comme de l'Église. Aussi longtemps qu'ils allèrent de l'avant et qu'ils prêchèrent partout, le Seigneur travaillait avec eux, confirmant la Parole par des signes. Cependant, lorsqu'ils se cloîtraient dans des monastères ou jouaient à construire de belles cathédrales ou de belles dénominations, Dieu leur retirait son aide, jusqu'à ce qu'un Luther ou un Wesley se lèvent pour défier l'enfer une fois de plus. Alors, Dieu déversait invariablement sur eux sa puissance, comme avant.

Cette loi s'applique dans chaque dénomination, dans chaque société missionnaire, dans chaque église locale, ou chez chaque chrétien. Dieu agit aussi longtemps que son peuple est en marche. 

Mais il cesse d'agir quand son peuple n'a plus besoin de son aide. Dès que nous cherchons ailleurs qu'en Dieu la protection dont nous avons besoin, nous la trouvons, mais pour notre propre ruine. Que nous ayons le malheur de nous entourer d'un mur de talents personnels, de capacités propres, de règlements, de prestige, et d'une multitude de méthodes pour déléguer nos tâches, vous pouvez être sûrs, qu'aussitôt, une paralysie commencera à s'installer progressivement, une paralysie qui ne peut aboutir qu'à la mort. 

La puissance de Dieu ne survient que là où on met la main à la charrue pour vouloir cette puissance. Dieu, en effet, ne libère sa puissance dans l'Église que seulement lorsque celle-ci fait quelque chose qui montre qu'elle veut cette puissance. Par le mot « faire », je n'entends pas de l'activité pure. Telle qu'elle est, l'Église a déjà suffisamment d'activités, mais dans toutes ses activités, elle prend grand soin de laisser toucher le moins possible à ses terres en friche. Elle veille à restreindre ses activités à l'intérieur de limites entièrement sécuritaires et marquées par la peur. C'est pourquoi elle ne porte pas de fruit, elle est en sécurité, mais elle est stérile. 

Regardez autour de vous, et voyez où ont lieu les miracles de la puissance de Dieu. 

Jamais de miracles dans une institution religieuse, où la tradition et l'habitude ont depuis longtemps rendu la foi inutile. Jamais dans la vieille église, où d'antiques tablettes commémoratives ont été plâtrées sur les meubles pour rendre un témoignage silencieux aux jours glorieux d'antan. Quand, pour aller de l'avant, une foi audacieuse combat des difficultés insurmontables, c'est là que Dieu envoie immanquablement de « l'aide de son sanctuaire ». 

Au sein de la société missionnaire avec laquelle j'ai été associé pendant de longues années, j'ai remarqué que la puissance de Dieu nous a toujours tenu compagnie. En effet, des miracles ont accompagné nos marches, mais ils ont cessé chaque fois que nous nous sommes laissé aller à être satisfaits, et que nous avons arrêté d'avancer. Le fait de croire à la puissance n'empêchera pas une société de demeurer stérile. Il lui faut aussi accomplir les œuvres de la puissance. 

Cependant, je suis plus intéressé à l'effet que peut avoir cette vérité sur l'église locale et sur l'individu. Jetez un coup d'œil à cette église, où le fait de porter beaucoup de fruits était autrefois chose commune et attendue. Aujourd'hui, on y voit peu ou pas de fruits, et la puissance de Dieu semble être suspendue. Quel est le problème ? 

Dieu n'a pourtant pas changé, et le but qu'il avait fixé pour cette église n'a pas varié le moindrement. Non, c'est l'église elle-même qui a changé. 

Un bref examen de conscience révélera que l'église, tout comme ses membres, est devenue une terre inculte. Elle a passé à travers ses premiers labeurs, et maintenant elle en est venue à accepter une manière de vivre plus facile. Elle se contente d'organiser ses programmes inoffensifs, avec suffisamment d'argent pour payer les factures, et un nombre de membres suffisamment grand pour assurer son avenir. Ses membres regardent maintenant leur église pour la sécurité qu'ils y trouvent, plutôt que pour la direction qu'elle peut leur donner dans la bataille que se livrent le bien et le mal. Elle est devenue une école plutôt qu'une caserne, ses membres, en effet, sont des étudiants et non des soldats. Ils étudient les expériences des autres au lieu de chercher à vivre leurs propres expériences. 

Le seul chemin vers la puissance, pour une telle église, c'est de sortir de sa cachette et de prendre, une fois de plus, le dangereux chemin de l'obéissance. Sa sécurité est son ennemi le plus mortel. L'église qui craint la charrue rédige sa propre épitaphe, mais l'église qui emploie la charrue marche sur le chemin du réveil.

 

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