La religion de l'opinion publique
L'égoïsme est la violation de la grande loi qui commande la bienveillance désintéressée. L'amour de soi, qui est tout à la fois désir du bonheur et crainte de la souffrance, fait partie essentielle de notre être.
« Car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu (Jean 12 v. 43) ». Ces paroles furent dites de gens qui refusaient de confesser que Jésus était le Christ, parce qu'il était extrêmement impopulaire parmi les scribes, les pharisiens et les principaux du peuple. Il est clair qu'il y a une distinction à faire entre l'amour de soi ou le simple désir de bonheur et l'égoïsme.
L'amour de soi, qui est tout à la fois désir du bonheur et la crainte de la souffrance, est partie essentielle de notre être ; Dieu l'a mis en l'homme lorsqu'il le créa ; et c'est avec cet amour qu'il nous veut. Que cet amour donc obtienne satisfaction dans les limites que lui assigne la loi de Dieu, ce n'est pas un péché ; le péché n'apparaîtrait qu'à partir du moment où ces limites ne seraient pas respectées.
Mais que le désir du bonheur ou la sainte de la souffrance devienne le principe qui dirige notre vie et que nous fassions passer notre propre satisfaction avant quelqu'autre intérêt d'un ordre plus élevé, ce n'est plus simple amour de soi, c'est égoïsme. L'égoïsme est la violation de la grande loi qui commande la bienveillance désintéressée.
Vendredi dernier, j'ai décrit cette classe de chrétiens qui, dans l'accomplissement de leurs « devoirs religieux », sont poussés par l'espérance et par la crainte. Ils sont mus par l'égoïsme. Leur but suprême n'est pas de glorifier Dieu, mais d'accomplir leur propre salut. Et lorsqu'ils font extérieurement les mêmes choses que les vrais amis de Dieu et de l'homme dont le but suprême est de glorifier Dieu, ils les font par des motifs entièrement différents, de sorte que ces mêmes actes ont aux yeux de Dieu un caractère absolument différent suivant qu'ils procèdent des uns ou qu'ils procèdent des autres.
Ce soir, je désire indiquer les caractères qui distinguent la troisième classe de chrétiens.
III. Ceux qui aiment la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu.
Je n'ai pas la pensée que ces chrétiens aient généralement été amenés à leur profession religieuse par le seul désir d'acquérir une réputation de piété. La religion n'a jamais été assez populaire pour qu'on puisse faire une telle supposition.
Il y a pourtant des milieux où la profession de la piété n'est généralement pas mal vue, et même peut ajouter à la considération d'un homme auprès de beaucoup de personnes. Dans ces cas-là, les chrétiens qui nous occupent ont embrassé la foi par un double motif : l'espoir d'assurer leur bonheur dans la vie à venir et celui d'accroître leur réputation dans celle-ci. De sorte que beaucoup font profession de piété ayant pour but principal l'approbation de leurs semblables. S'il leur fallait perdre entièrement cette approbation, ils aimeraient mieux abandonner leur profession chrétienne, celle-ci est donc subordonnée à leur réputation. Bien qu'ils prétendent être de sincères chrétiens, vous pouvez reconnaître, en examinant leur conduite de près, qu'ils ne voudraient rien faire qui pût porter atteinte à la bonne opinion que l'on a d'eux. Ils ne veulent pas s'exposer à la haine dont ils seraient les objets s'ils se vouaient tout entiers à la tâche de déraciner le péché de ce monde.
Je vais maintenant mentionner plusieurs des traits qui les distinguent ; et s'il y a ici des personnes qui appartiennent à leur catégorie, elles vont se reconnaître aux traits que je vais indiquer.
1. Ils font ce que faisaient certaines personnes dont parle l'apôtre Paul :
« Ils se mesurent eux-mêmes par eux-mêmes, et se comparent eux-mêmes et eux-mêmes » ; aussi n'arrivent-ils jamais à la connaissance de la vérité.
Il y a un très grand nombre de gens qui au lieu de prendre leur point de comparaison en Jésus-Christ et de faire de la Bible la règle de leur vie, procèdent manifestement d'une manière toute différente. La grande question pour eux est de savoir si, en fait de religion, ils font autant que telles ou telles personnes, ou que les membres des églises auxquelles ils appartiennent.
Leur but est de maintenir aux yeux des hommes une profession respectable. Au lieu de rechercher sérieusement pour eux-mêmes ce que la Bible requiert réellement, et de se demander comment Jésus-Christ agirait en tel et tel cas, ils se contentent de regarder à la généralité de ceux qui font profession de christianisme, et si cette généralité approuve ce qu'ils font, ils sont satisfaits. Leur conduite prouve jusqu'à l'évidence que leur but n'est pas tant de faire ce que la Bible présente comme leur devoir, que de faire comme la grande majorité de ceux qui font profession d'être chrétiens ; ils veulent faire ce qui est respectable plutôt que ce qui est bien.
2. Ils ne songent pas à élever le niveau de la piété autour d'eux.
Ils ne sont pas troublés par le fait que le niveau général de la piété est tellement bas dans l'église, qu'il est impossible d'amener la plupart des pécheurs à la repentance. Ils pensent qu'aujourd'hui ce niveau de la piété est assez élevé ; du reste, quel que soit ce niveau, il les satisfait toujours. Les vrais amis de Dieu et de l'homme se lamentent sur l'état de l'église, ils sont désolés de voir le niveau de sa piété si bas, et ils s'efforcent de la réveiller et de l'élever plus haut ; mais les chrétiens dont nous parlons ne voient là qu'une disposition à la critique, au mécontentement, à l'inquiétude, penchant à créer de l'agitation et du trouble qui, disent-ils, dénote un mauvais esprit.
C'est exactement ce qui arrivait quand Jésus-Christ dénonçait les scribes, les pharisiens et les principaux de ceux qui faisaient profession de piété : « Il a un démon (Jean 10 v. 20) ». « Quoi ! Il dénonce nos docteurs en théologie et tous nos hommes les plus excellents ; et même il ose appeler les scribes et les pharisiens les hypocrites, et il vient nous dire que si notre justice ne surpasse la leur, nous n'entrerons point dans le royaume les cieux. Quel mauvais esprit ! »
Une grande partie de l'église actuelle parle de même et le même esprit que ces scribes et ces pharisiens. Tout efforts tenté pour ouvrir ses yeux et montrer aux chrétiens que leur vie est si misérable, si mondaine, si semblable à celle des hypocrites, qu'il est impossible de faire avancer l’œuvre du Seigneur, tout effort dans ce sens excite le blâme et l'irritation générale. « Oh ! Dit-on, quel esprit de critique ! Quel mauvais esprit ! Que c'est peu aimable ! Que nous voilà loin de l'esprit si humble, si doux, si bienveillant du Fils de l'homme ! » Ils oublient que Jésus-Christ a prononcé des anathèmes à faire trembler les collines de Juda, et cela précisément contre ceux qui avaient la réputation d'être les plus pieux du peuple. Ils parlent exactement comme si Jésus-Christ n'avait jamais rien dit de sévère à qui que ce soit ; comme s'il avait comblé les scribes et les pharisiens de caresses et de flatteries pour les attirer dans son royaume. Y a-t-il donc quelqu'un qui ignore que c'était l'hypocrisie de ceux qui professaient la religion qui soulevait son âme, excitait son indignation et faisait jaillir ses dénonciations comme des torrents de feu ? Il se lamentait toujours sur eux-mêmes qui étaient placés à la tête du peuple comme étant des modèles de piété, il les appelait hypocrites et faisait retentir contre eux les plus terribles paroles : « Serpents, race de vipères, comment échapperez-vous au feu de la géhenne ! (Matthieu 23 v. 33) ».
Quand on considère le grand nombre de ceux qui préfèrent la gloire des hommes à la gloire de Dieu, on ne s'étonne pas que la vérité produise du trouble alors qu'elle est annoncée fidèlement. On est très satisfait du niveau actuel de la piété ; l'on pense, qu'avec tout ce qui se fait pour les écoles du dimanche, les missions ; les traités, etc., les choses vont admirablement bien et l'on s'étonne, que quelqu'un puisse demander davantage. Hélas ! Hélas ! Quel aveuglement ! On ne paraît pas s'apercevoir, qu'avec toutes ces bonnes œuvres, les vies de la généralité de ceux qui font profession d'être chrétiens diffèrent presque autant du modèle que nous avons en Jésus-Christ que les ténèbres diffèrent de la lumière.
3. Les chrétiens dont nous parlons font une distinction entre certaines exigences de la loi de Dieu qui sont fortement appuyées par le sentiment public et d'autres qui ne le sont pas.
Ils sont très scrupuleux à observer les commandements de Dieu qui sont en faveur auprès du public, tandis qu'ils font volontiers abstraction de ceux que le sentiment public n'appuie pas. Les exemples en sont nombreux. Voyez comment on se conduit l'égard de l’œuvre de la tempérance. En ce qui la concerne, que de gens qui font, pour obéir au sentiment public, ce qu'ils ne se résoudraient jamais à faire pour l'amour de Dieu ou de leurs semblables !
Ces gens ont premièrement attendu de voir comment les choses tourneraient. Ils ne voulaient point d'abord qu'on leur parle, d'abandonner l'usage des liqueurs fortes, mais quand ils ont vu que cet abandon devenait populaire, et qu'ils pouvaient sans trop de peine se contenter d'autres boissons alcooliques, ils ont renoncé à ces liqueurs. Mais ils étaient décidés à ne pas faire plus que le sentiment public ne les obligerait de faire. Ils montrent qu'en se joignant à la société de tempérance, leur but n'a pas été de pousser la réforme jusqu'au bout, de manière à tuer le monstre de l'intempérance, mais bien de maintenir leur bonne réputation : « Ils aiment mieux la gloire qui vient des hommes que la gloire qui vient de Dieu (Jean 12 v. 43) ».
Voyez encore, combien de gens qui gardent le jour du Seigneur non parce qu'ils aiment Dieu, mais parce que cela est respectable ! Ils observent ce jour quand ils se trouvent parmi leurs connaissances ou dans un endroit où ils sont connus ; mais dès qu'ils sont dans quelque lieu où personne ne les connaît, ou encore dans quelque contrée où le travail du dimanche n'est pas mal noté, ils en profitent pour voyager ou pour faire leurs affaires ce jour-là.
Les personnes que je décris en ce moment s'abstiennent de tous les péchés qui sont réprouvés par l'opinion publique ; mais elles se permettent beaucoup de choses tout aussi mauvaises que l'opinion publique ne réprouve pas ; de même, elles accomplissent tous les devoirs que sanctionne l'opinion publique, mais elles laissent de côté les autres. Ce sont des chrétiens qui suivent le culte public du dimanche, vu qu'il n'est pas possible de conserver sa réputation de piété sans cela ; mais ils négligent d'autres choses que la Parole de Dieu ordonne tout aussi péremptoirement.
Quand un homme désobéit habituellement à un commandement de Dieu connu comme tel, l'obéissance qu'il semble rendre à Dieu sur d'autres points n'est qu'une trompeuse apparence car il n'agit pas par amour pour Dieu et par respect pour son autorité ; il désobéit à Dieu en ayant l'air de lui obéir ; il n'obéit qu'à sa propre convenance ; cela est certain et de toute évidence. L'apôtre Jacques a nettement établi ce point : « Quiconque gardera toute la loi et bronchera en un seul de ses commandements est coupable à l'égard de tous (Jacques 2 v. 10) », c'est-à-dire qu'il n'en observe pas véritablement un seul.
L'obéissance à un seul commandement de Dieu implique l'état d'un cœur totalement soumis à Dieu ; et aucun acte extérieur, si parfaitement conforme à la loi de Dieu qu'il puisse être, n'est obéissance, à moins qu'il ne procède d'un cœur ainsi disposé. Quand donc, le cœur d'un homme est tel qu'il doit être, que Dieu commande n'importe quoi, cet homme regardera l'accomplissement de ce commandement comme plus important que toute autre chose. Celui qui regarderait, au contraire, quelqu'autre chose comme plus importante que l'accomplissement de ce commandement, serait un idolâtre ; son idole serait la chose préférée à l'accomplissement du commandement de Dieu.
Notre dieu, c'est la chose à laquelle nous tenons le plus, que ce soit notre réputation, notre bien-être, nos biens, notre respectabilité, peu importe. Quand un homme néglige volontairement une chose sachant qu'elle est voulue de Dieu, ou voyant qu'elle est nécessaire pour avancer le règne de Christ, cherchez quel est le motif de sa conduite et vous saurez quelle est son idole. Rien de ce qu'un tel homme peut faire ne saurait être agréable à Dieu. Toute sa religion n'est que celle du moi et de l'opinion publique.
S'il est avéré qu'un homme néglige de faire une chose exigée par la loi de Dieu, parce que le sentiment public, ne la requiert pas ; ou qu'il fait une chose contraire à la loi de Dieu parce que le sentiment public la requiert ; il est dès lors démontré que dans sa conduite entière son obéissance s'adresse non pas à Dieu, mais à l'opinion publique.
Qu'en est-il de vous, bien-aimés ? Négligez-vous habituellement quelque commandement de Dieu parce qu'il ne serait point appuyé par le sentiment public ? Si vous faites profession d'être chrétien, il est à présumer que vous ne négligez pas l'observation de ceux des commandements de Dieu qui sont fortement appuyés par l'opinion publique ; mais comment vous conduisez-vous à l'égard des autres ? N'êtes-vous pas dans l'habitude de négliger quelque devoir ? Ne vivez-vous pas dans quelque habitude bien vue dans le monde et que vous savez cependant être contraire à la loi de Dieu ? Si cela est, c'est la preuve sans réplique que vous regardez plus à l'opinion des hommes qu'au jugement de Dieu ; en ce cas, prenez note de votre véritable nom, écrivez hypocrite.
4. À l'étranger les gens que je décris se permettent certains péchés qu'ils ne commettraient pas chez eux.
Maint homme, tempérant chez lui, toastera, verre d'eau de vie en main, quand il se trouvera à distance suffisante de sa demeure ; sur le bateau à vapeur, vous le verrez à la buvette avalant son verre de liqueur sans aucune honte. En Europe, il ira au théâtre. Quand j'étais dans la Méditerranée, à Messine, un monsieur me demanda si je voulais aller au théâtre avec lui : « Quoi ! J'irais au théâtre ! Un ministre au théâtre ! » « Mais, dit-il, vous êtes loin de chez vous, personne ne le saura ». « Et Dieu, ne le saura-t-il pas ? » Évidemment, il pensait que quoique je fisse un ministre, je pouvais aller au théâtre quand j'étais loin de mon pays. Il importait peu que Dieu le vit ; pourvu que les hommes ne le vissent pas. Et d'où cette idée lui serait-elle venue, s'il n'avait pas vu des pasteurs agir d'après le même principe ?
5. Ils se livrent au péché en secret.
A ce trait ; plusieurs personnes pourront reconnaître ce qu'elles sont. Si vous vous livrez à quelque péché quand vous pouvez le commettre sans qu'aucun être humain en ait connaissance, sachez que Dieu le voit et qu'il a déjà inscrit votre vrai nom, hypocrite. Vous craignez plus de déplaire aux yeux des hommes que de déplaire aux yeux de Dieu. Si vous aimiez Dieu par-dessus tout, ce serait peu de chose pour vous que chacun connût vos péchés, en comparaison du fait que Dieu les connaît. Quand la tentation se présenterait, vous vous écrieriez : « Comment pourrais-je faire une pareille chose sous le regard de Dieu ? »
6. Ils se permettent des négligences et des omissions de devoirs qui ne risquent pas d'être découvertes.
Il se peut qu'ils ne commettent pas quelqu'un de ces péchés secrets particulièrement honteux dont on parle quelquefois. Mais ils négligent des devoirs dont l'omission, si elle venait à être connue, compromettrait leur réputation de piété. Ainsi la prière secrète. Ils prendront la communion, quelle communion, et paraîtront très pieux le jour du dimanche et cependant, quant à la piété secrète, ils n'en connaissent rien. Leur cabinet de prière est inconnu de Dieu comme des hommes. Il est aisé de voir que leur réputation est leur idole ; ils craignent de perdre cette réputation plus que d'offenser Dieu.
Qu'en est-il de vous, bien-aimés ? Est-ce un fait que vous omettez habituellement quelque devoir secret et que vous mettez plus de soin À accomplir vos devoirs publics que vos devoirs privés ? S'il en est ainsi, à quelle classe de chrétiens appartenez-vous ? Avez-vous besoin qu'on vous le dise ? « Vous aimez la gloire qui vient des hommes plus que la gloire qui vient de Dieu ».
7. Leur conscience parait s'être formée sur d'autres principes que ceux de l’Évangile.
Leur conscience a de la sensibilité à l'égard des devoirs imposés par l'opinion publique et n'en a point pour les autres. Vous pouvez leur prêcher leur devoir et le leur démontrer aussi clairement que possible, le leur faire reconnaître, et même leur faire confesser que c'est bien là, en effet, leur devoir ; ils n'en continueront pas moins à vivre exactement comme auparavant, aussi longtemps, du moins, que le sentiment public ne réclamera, pas l'accomplissement de ce devoir, et que ce ne sera pas pour eux affaire de réputation.
Montrez-leur un : « Ainsi a dit le Seigneur », faites-leur toucher au doigt que leur conduite est opposée à la perfection chrétienne et contraire aux intérêts du royaume de Christ, ils ne changeront pas pour cela. Il est clair que ce n'est pas aux exigences de la loi de Dieu qu'ils regardent, mais à celles de l'opinion publique.
8. Ils ont, en général une crainte excessive d'être considérés comme fanatiques.
Ils ignorent pratiquement l'un des premiers principes de la religion, à savoir que le monde entier est mauvais, que le sentiment public de ce monde est entièrement opposé Dieu et que quiconque veut servir Dieu doit être prêt à heurter de front le sentiment public. Leurs yeux n'ont jamais été ouverts sur ces vérités élémentaires. Les voies de Dieu sont diamétralement opposées à celles de ce monde ; il est en conséquence vrai, et il l'a toujours été, que « tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, Jésus, seront persécutés (2 Timothée 3 v. 12) ». Ils seront appelés fanatiques, superstitieux, exagérés, etc., ils l'ont toujours été et le seront toujours, aussi longtemps que le monde sera mauvais.
Mais ces chrétiens de nom n'iront jamais plus loin que le permettent les opinions des gens du monde. Ils prétendent être obligés d'adopter telle ou telle façon d'agir mondaine pour ne pas compromettre leur influence. Qu'elle est différente la conduite des vrais amis de Dieu et de l'homme ! Leur but suprême est de renverser l'ordre que suivent les choses de ce monde, de tourner ce monde entier sens dessus dessous, d'amener tous les hommes à obéir à Dieu, toutes les opinions des hommes à se conformer à la Parole de Dieu, et tous les usages et institutions de ce monde à se mettre d'accord avec l'esprit de l’Évangile.
9. Les chrétiens dont nous parlons sont toujours très désireux de se faire des amis des deux côtés, du côté de Dieu et du côté du monde.
Ils prennent toujours une voie moyenne. D'un côté, ils évitent de paraître justes à l'excès ; de l'autre, ils évitent de paraître relâchés ou irréligieux. C'est ainsi que, dans tous les siècles, on a pu faire profession de piété sans jamais être taxé de fanatisme. Le niveau général de la piété est toujours si bas que la plupart probablement dans nos églises protestantes s'efforcent de suivre une voie moyenne entre le monde et Dieu. Ils veulent avoir des amis des deux côtés. Ils ne veulent pas être comptés parmi les réprouvés, mais ils ne veulent pas non plus passer pour fanatiques ou pour bigots.
Ce sont des chrétiens à la mode, des chrétiens « comme il faut ». On peut les appeler ainsi pour deux raisons. Premièrement parce que leur façon de pratiquer la religion est populaire, à la mode ; secondement, parce qu'ils suivent en général les modes du jour. Le but de leur religion est de ne rien faire qui soit contraire aux goûts du monde : Peu importe ce que Dieu demande ; ils sont décidés à rester prudents, à ne pas s'attirer les censures du monde et à ne pas offenser les ennemis de Dieu. Ils ont évidemment plus d'égard pour les boraines que pour Dieu ; s'ils ont à choisir entre déplaire à leurs amis et à leurs voisins et offenser Dieu, ils offenseront Dieu.
10. Ils feront plus pour gagner les applaudissements des hommes : Que pour avoir l'approbation de Dieu.
Cela résulte du fait déjà établi qu'ils ne veulent rendre obéissance qu'aux commandements de Dieu qui sont appuyés par l'opinion publique. Ils refusent de pratiquer le renoncement pour obtenir l'approbation de Dieu, mais ils pratiqueraient les plus grands renoncements pour gagner les applaudissements des hommes. Ils ont abandonné l'usage des liqueurs fortes parce que le sentiment public le demandait et ils iraient jusqu'à abandonner le vin si un sentiment public assez fort leur en faisait un devoir, mais ils ne le feraient pas auparavant.
11. Ce que les hommes pensent d'eux les préoccupe beaucoup plus que le jugement que Dieu porte sur eux.
Si l'un d'entre eux est pasteur et prêche un sermon, il s'inquiète beaucoup plus de savoir ce que le public pense de sa prédication que de savoir ce que Dieu en pense ; et s'il a échoué ou commis quelque bévue, la défaveur des hommes est pour lui dix fois pire que la pensée d'avoir déshonoré Dieu ou empêché le salut des âmes. Vous pourrez faire la même observation au sujet de tout ancien ou membre d'église appartenant à cette même classe de chrétiens ; si l'un d'eux prie ou exhorte dans une réunion, il est plus préoccupé de savoir ce que l'on pense de lui que de savoir s'il est agréable à Dieu.
Si un tel homme a quelque péché secret qui vienne à être découvert, l'opprobre qui en résulte pour lui l'attriste beaucoup plus que la pensée d'avoir déshonoré Dieu.
Quand une femme de cette catégorie vient à l'église elle se préoccupe plus de son extérieur, de sa toilette et de reflet qu'elle produit sur le public, que de l'état de son cœur devant Dieu. On la verra, toute la semaine occupée à des préparatifs qui tendent à la faire paraître à son avantage devant les hommes, le dimanche suivant, et peut-être ne passera-t-elle pas une demi-heure dans son cabinet afin de préparer son cœur à paraître en la présence de Dieu.
Que cette religion-là soit dépouillée de son masque et chacun voit aussitôt ce qu'elle vaut Son vrai nom est hypocrisie, personne n'en doute. De telles gens iront dans la maison de Dieu le cœur noir comme les ténèbres de l'enfer, et tout dans leur extérieur, jusqu'aux plus petits détails, sera décent, gracieux, magnifique. Il faut qu'ils aient belle apparence aux yeux des hommes ; après cela, peu leur importe l'état de cette partie de leur être sur laquelle Dieu arrête ses regards. Que leur cœur soit noir, en désordre, souillé, ils ne s'en mettent pas en peine aussi longtemps que l’œil de l'homme n'y découvre aucune tache.
12. Ils refusent de confesser leurs péchés de la manière requise par la loi de Dieu, de peur de perdre leur réputation.
Quand on les presse de confesser leurs fautes plus qu'ils ne jugent convenir à leur réputation, ils sont fort en peine sujet du tort que cela peut leur faire dans l'opinion du public ; mais que Dieu soit satisfait ou non, cela leur importe beaucoup moins.
Vous qui avez fait des confessions de péché, sondez vos cœurs. Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus, ce que Dieu en a pensé on ce que les hommes en ont pensé ? Avez-vous refusé de faire la confession que Dieu demandait, parce qu'il en coûtait trop à votre réputation ? Dieu ne jugera-t-il pas vos cœurs ? Soyez sincères et répondez à ces questions.
13. Ils se soumettent à des coutumes qu'ils savent préjudiciables à la cause de Christ et au bonheur de l'humanité.
Une preuve frappante de cette assertion est la manière dont on célèbre ici le premier de l'an. Qui ne sait que cette profusion de vins fins et de gâteaux, ces somptueux festins, et tout l'emploi que l'on fait de cette journée, n'est que gaspillage d'argent, de santé et de temps, et que tout cela est fort préjudiciable à l'âme et aux intérêts du royaume de Dieu ? Et cependant l'on suit la coutume. Mais qui au monde osera dire que ceux qui la suivent, et qui la savent mauvaise aiment Dieu par-dessus tout ? Je ne m'inquiète pas de savoir qui essaye de défendre une pareille coutume ; elle est mauvaise, chaque chrétien doit savoir qu'il en est ainsi, et ceux qui y persistent la sachant mauvaise montrent avec une parfaite évidence que la volonté de Dieu n'est point la règle de leur vie,
14. Pour obéir à l'opinion publique ils feront beaucoup d'autres choses qui ont, même à leurs propres yeux, un caractère des plus douteux.
Vous vous le rappelez, je traitai ce sujet le soir du premier jour de l'an et je vous montrai que ceux qui font une chose sans être convaincus de sa légitimité sont condamnés devant Dieu.
15. Ils ont souvent « honte » de leur devoir, et tellement honte qu'ils ne le font pas.
Quand quelqu'un a tellement honte de faire ce que Dieu commande, qu'il ne le fait pas, il est bien clair que sa réputation est son idole. Combien de gens qui ont honte de reconnaître Jésus-Christ, honte de reprendre le péché chez ceux qui sont haut placés, honte aussi de le reprendre chez d'autres, honte de parler quand la religion est attaquée ! S'ils regardaient à Dieu avant tout, le respectant et l'honorant par-dessus tout, pourraient-ils jamais avoir honte de faire ce qu'il commande ?
Si un homme voit sa femme calomniée, aura-t-il honte de la défendre ? S'il voit ses enfants insultés, aura-t-il honte de prendre leur parti ? Ou s'il aime le gouvernement de son pays et qu'il l'entende calomnier, aura-t-il honte de le défendre ? Il se peut qu'il juge convenable de se taire pour d'autres raisons, mais s'il est un vrai ami de ce gouvernement, il n'aura jamais « honte » de parler en sa faveur, où que ce soit qu'il se trouve.
Les personnes dont je parle ne prennent pas une position franche quand elles se trouvent au milieu des ennemis de la vérité ; quand elles sont au contraire avec ses amis, elles sont pleines de hardiesse et font grand étalage de leur courage. Cependant vienne l'épreuve, elles vendront le Seigneur Jésus-Christ, elles le renieront devant ses ennemis, elles l'exposeront publiquement à l'ignominie. Oui ! elles le trahiront plutôt que de reprendre le méchant, plutôt que de défendre sa cause au milieu de ses ennemis.
16. Ces mêmes chrétiens s'opposent à toute nouvelle lumière sur des sujets pratiques qui menacent de leur imposer de nouveaux sacrifices.
Ils sont troublés par toute nouvelle proposition qui risque d'entamer leur bourse et de porter atteinte à leur complaisance envers eux-mêmes. Vous pouvez parler longtemps, prêcher autant que vous voudrez en faveur de votre proposition, c'est peine perdue, il n'y a qu'un seul moyen d'atteindre cette sorte de gens, c'est de créer un sentiment public nouveau capable d'agir sur eux. Quand, en vous adressant à la conscience et avec la puissance que donne l'amour, vous aurez gagné assez de membres de la communauté pour créer un fort mouvement d'opinion en faveur de votre proposition, ils l'adopteront en effet, mais non pas auparavant.
17. Ils sont toujours en détresse au sujet de ce qu'ils appellent les exagérations religieuses de notre temps.
Ils craignent que ces « exagérations » ne détruisent l'église. Ils disent que nous poussons les choses trop loin, que cela produira une réaction, etc (1).
(1) Ici Finney cite un exemple concernant la réforme de la tempérance en Amérique. Nous l'omettons, vu que ce qu'il en dit ne s'applique évidemment pas à nos contrées (Note du traducteur).
18. Tant que des choses, des mesures, des hommes sont critiqués et impopulaires, ils s'y opposeront ; mais que ces mêmes choses, ces mêmes mesures, ces mêmes hommes deviennent populaires, ils en seront partisans.
Qu'un homme parcoure les églises pour les réveiller, tant qu'il est peu connu, ils ne se font pas faute de parler contre lui ; mais qu'il fasse son chemin, qu'il acquière de l'influence, ils sont alors ses partisans ; ils le louent, ils le recommandent, ils professent être ses plus chauds amis. Il en était ainsi à l'égard de Jésus-Christ. Avant d'être conduit au Calvaire, il eut quelque popularité ; quand il parcourait les rues, les multitudes le suivaient en criant : « Hosanna, hosanna ! (Matthieu 21 v. 9) » Mais remarquez-le, elles ne le suivirent pas un instant de plus que ne dura sa popularité. Dès qu'il fut arrêté comme un criminel, elles lui tournèrent le dos et commencèrent à crier : « Crucifie-le ! crucifie-le (Luc 23 v. 21) »
Les chrétiens dont nous parlons sont tour à tour emportés et ramenés par le flot de l'opinion publique ; emportés par le flot de la critique et du blâme contre celui que le sentiment public désavoue ; et ramenés à lui par le flot de la louange et des honneurs quand le sentiment public le veut ainsi. À cela, il n'y a qu'une exception, je veux parler du cas où ils se sont tellement avancés dans leur opposition qu'ils ne peuvent plus battre en retraite sans se couvrir de confusion. Dans ce cas, ils garderont le silence, jusqu'à ce qu'une autre occasion se présente de laisser déborder un peu de l'amertume qui fermente au fond de leur cœur.
Très souvent quand un réveil commence dans une église, certains membres de l'église lui sont opposés. Ce qui se passe ne leur plaît pas ; ils craignent beaucoup ce qu'ils appellent de l'excitation charnelle. Mais que l’œuvre continue et grandisse, et peu à peu ils semblent y entrer ; ils suivent la multitude. Si plus tard, au contraire, le réveil commence à baisser, si l'église redevient froide, il ne se passera pas longtemps avant qu'on voie cette classe de chrétiens renouveler leur opposition, et plus l'église déclinera, plus ils manifesteront leur opposition aux réveils, tellement qu'à la fin peut-être ils amèneront l'église entière à se prononcer contre ce même réveil qui l'avait tant réjouie. C'est là exactement la conduite qu'ont tenue certains chrétiens dans les réveils de cette contrée-ci. Et il y a beaucoup d'exemples d'une semblable conduite. Pleins de respect et de crainte devant l'opinion publique, ces chrétiens s'inclinent devant le réveil quand il est dans sa puissance ; mais quand il décline, ils montrent de plus en plus l'opposition de leurs cœurs.
Il en a été exactement de même quant à la cause des missions. Et si celle-ci éprouvait quelque revers assez fâcheux pour ébranler l'appui que le sentiment public lui donne, vous verriez aussitôt la foule de ses amis qui ne paraissent qu'aux jours du bonheur se joindre à l'opposition naissante.
19. Si l'on propose quelque mesure à prendre pour avancer le règne de Dieu, ils se montrent très délicats et très scrupuleux dans leur crainte que l'on ne fasse quelque chose d'impopulaire.
S'ils habitent une ville, ils demandent ce que les autres églises penseront de cette mesure ; et s'il parait probable qu'elle attirera des reproches à leur église ou à leur pasteur, soit devant le monde, soit devant les églises, les voilà dans la plus grande anxiété. Peu importe le bien que cela pourra faire, peu importent toutes les âmes qui pourront être sauvées, ils ne veulent, pas que l'on fasse quoi que ce soit qui puisse porter atteinte à la respectabilité de leur église.
20. Cette classe de personnes n'a jamais pour but de créer un sentiment public favorable à la parfaite piété.
Les vrais amis de Dieu et de l'homme ont toujours pour but de former le sentiment public, de le redresser partout où il est en faute. Ils se mettent de tout leur cœur à l’œuvre pour réformer le monde, pour déraciner et bannir de la terre toute espèce de mal. Mais les personnes dont nous parlons suivent toujours le sentiment public, ayant bien garde de s'éloigner de tout ce qui va à l'encontre de ce sentiment, et étant toujours prêtes à gratifier du titre d'imprudent ou de téméraire tout ce qui, homme ou chose, s'oppose au grand courant de l'opinion publique et s'efforce de lui faire prendre une autre direction.
Remarques
1. Il arrive aisément que certaines gens se savent bon gré de leurs péchés ; et en appréciant leurs propres actes, appellent piété ce qui n'est au fond qu'hypocrisie.
Ces gens font certaines choses qui extérieurement appartiennent à la piété et ils se persuadent qu'ils sont pieux, quand en réalité leurs motifs ne sont tous fausseté et corruption, pas un seul de ces motifs ne procédant d'un souverain respect pour l'autorité de Dieu. Tout cela est rendu manifeste par le fait qu'ils ne font rien de ce que Dieu commande à moins que ce ne soit appuyé par le sentiment public.
Si vous n'avez pas pour but de faire tout votre devoir, de rendre obéissance à Dieu en toute chose, la piété que vous prétendez avoir n'est que pure hypocrisie et péché contre Dieu.
2. Il y a, dans l'église, beaucoup plus de piété apparente que de piété réelle.
3. Il y a beaucoup de choses que les pécheurs supposent bonnes et qui sont abominables aux yeux de Dieu.
4. Si l'amour de la réputation et la crainte du déshonneur ne les retenaient, combien n'y a-t-il pas de membres de l’Église qui se jetteraient ouvertement dans l'apostasie !
Combien y a-t-il de personnes ici qui savent qu'elles se livreraient ouvertement au vice, n'étaient les barrières qu'y opposent l'opinion publique, la crainte du déshonneur et le désir de passer pour vertueux ?
Quand une personne pratique la vertu par respect pour l'autorité de Dieu, que le sentiment public y soit contraire ou favorable, c'est de la vraie piété. Celui qui a d'autres mobiles reçoit ici-bas toute sa récompense ; il agit pour acquérir l'approbation des hommes, il l'aura ; mais s'il espère recevoir quelque récompense auprès de Dieu, il sera sûrement désappointé. La seule récompense que Dieu décernera à un tel homme, égoïste et hypocrite, sera la condamnation éternelle.
Et maintenant, je désire savoir combien d'entre vous sont déterminés à faire leur devoir, tout leur devoir, suivant en toutes choses toute la volonté de Dieu, quel que puisse être le sentiment public. Qui d'entre vous s'engage à prendre la Bible pour règle et Jésus-Christ pour modèle, à faire ce qui est bien dans tous les cas, n'importe ce qu'homme au monde peut dire ou penser ? Quiconque n'est pas résolu à faire cela, doit se regarder comme étranger à la grâce de Dieu. Il n'est nullement en état de justification.
Vous, chrétiens de nom, pécheurs impénitents qui êtes ici présents, vous voyez ce que c'est que d'être chrétien. C'est être gouverné non par le sentiment public, mais par l'autorité de Dieu ; et cela, en toutes choses ; ce n'est point être mu par des espérances et des craintes, c'est vivre dans une entière consécration de sa personne à Dieu. Vous voyez que si vous voulez être chrétiens vous devez calculer la dépense. Je ne veux pas vous flatter, ni essayer de vous amadouer pour vous gagner à la religion, en vous cachant la vérité. Si vous voulez être chrétiens vous devez vous donner vous-mêmes totalement à Jésus-Christ. Impossible d’arriver au ciel si vous vous laissez guider par le sentiment public.
Vous demandez, pécheurs, ce qu'il adviendra de tous ces gens qui professent la religion, et qui se conforment au monde et aiment la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. Je réponds : Ils vont, en enfer avec vous et avec tous les autres hypocrites, c'est exactement aussi certain qu'il est certain que l'amitié du monde est inimitié contre Dieu.
« C'est pourquoi, sortez du milieu d'eux mon peuple et vous en séparez, et je vous recevrai, dit le Seigneur ; je vous serai pour Père et vous serez mes fils et mes filles (2 Corinthiens 6 v. 17) ». Et maintenant, qui veut le faire ? Parmi les membres de l'église, et parmi ceux qui ne le sont pas, qui veut le faire ? « Qui est pour le Seigneur ? » Qui veut faire cette déclaration :
« Nous ne voulons pas marcher plus longtemps avec la multitude pour faire le mal, nous sommes résolus à faire la volonté de Dieu en toutes choses, quelle qu'elle soit et quoi que le monde puisse penser et dire de nous. Que tous ceux d'entre vous qui veulent faire cette déclaration le témoignent en se levant à leur place devant cette congrégation ; puis qu'ils se mettent à genoux, pendant que nous prierons, demandant à Dieu qu'il accepte et scelle leur engagement solennel de lui obéir désormais en toute chose, à travers la mauvaise comme à travers la bonne réputation ».
Un message de Charles Finney
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