Job, ce qu’il était, ce qu’il faisait.1
Nous croyons rendre service à plus d’un lecteur en venant en aide à l'intelligence par l’examen du précieux contenu de ce livre auquel on attache en général trop peu d’importance.
Le livre de Job occupe une place toute particulière dans la parole de Dieu. Il a un caractère à lui ; il renferme des enseignements qui ne se trouvent dans aucune autre portion de l’Écriture Sainte, mais que Dieu a réservés pour l’utilité et la bénédiction de son peuple. Que le Seigneur veuille nous accorder sa bénédiction à cet effet !
Les premières pages présentent à nos yeux le patriarche Job lui-même. Nous le voyons entouré de tout ce qui pouvait lui procurer une place importante dans le monde et le lui rendre agréable : « il y avait dans le pays d’Uts un homme dont le nom était Job ; et cet homme était parfait et droit, craignant Dieu, et se retirant du mal » (Job 1 v. 1). Nous voyons là ce qu’il était dans sa vie. Voyons maintenant ce qu’il avait. « Et il lui naquit sept fils et trois filles ; et il possédait sept mille brebis, et trois mille chameaux, et cinq cents paires de bœufs, et cinq cents ânesses ; et il avait un très grand nombre de serviteurs ; et cet homme était plus grand que tous les fils de l’Orient. Et ses fils allaient et faisaient un festin, chacun dans sa maison, à son jour ; et ils envoyaient appeler leurs trois sœurs pour manger et pour boire avec eux » (v. 2 à 4).
Pour compléter le tableau, examinons ce qu’il faisait : « Et il arrivait que, quand les jours de festin étaient terminés, Job envoyait vers eux et les sanctifiait : il se levait de bonne heure le matin et offrait des holocaustes selon leur nombre à tous, car Job disait : Peut-être mes fils ont-ils péché et ont-ils maudit Dieu dans leurs cœurs. Job faisait toujours ainsi » (5). Voilà donc un homme modèle comme il y en a fort peu. Il était parfait, droit, pieux, et se détournait du mal. En outre, la main de Dieu le protégeait de toutes parts et avait répandu sur son chemin les plus riches bénédictions. Il possédait tout ce que le cœur naturel peut désirer, des enfants et des richesses en quantité ; de l’honneur et de la distinction plus que tous ceux qui l’entouraient. En un mot, nous osons presque dire que la coupe de son bonheur terrestre était comble.
Besoin d’être dépouillé de lui-même.
Mais il fallait que Job fût éprouvé. Il existait dans son cœur une racine profonde, cachée, qui devait être amenée à la lumière et jugée. Nous aurons en effet déjà discerné cette racine dans les paroles citées. Il dit : « Peut-être mes fils ont-ils péché ». Il semble ne pas penser à la possibilité d’un péché de sa part. Une âme qui s’est jugée et qui, brisée devant Dieu, sent son propre état, ses penchants et ses tendances, pensera avant tout à ses péchés à elle et à la nécessité d’offrir un holocauste pour ceux-ci.
N’oublions pas, toutefois, que Job était réellement un saint de Dieu, participant de la vie divine et éternelle. Nous ne pouvons pas assez le certifier. Au premier chapitre il était un homme de Dieu aussi bien qu’il l’est encore dans le chapitre quarantième. Si nous ne saisissons pas clairement ceci, nous nous priverons d’une des grandes instructions de ce livre.
Ce point est mis hors le doute au huitième verset du premier chapitre : « Et l’Éternel dit à Satan : As-tu considéré mon serviteur Job, qu’il n’y a sur la terre aucun homme comme lui, parfait et droit, craignant Dieu, et se retirant du mal ? ». Cependant, malgré tout cela, il n’avait jamais sondé les profondeurs de son cœur. Il ne se connaissait pas. Il n’avait jamais réellement saisi la vanité de sa propre réputation, ni sa totale corruption. Il n’avait jamais appris à dire : « Je sais qu’en moi, c’est-à-dire en ma chair, il n’habite point de bien » (Romains 7 v. 18).
À moins que ce point de vue ne soit maintenu, le livre de Job ne sera jamais compris. Job fut appelé à passer par des exercices profonds et douloureux, dont le vrai but nous échappera si nous n’avons pas l’œil sur le fait sérieux que sa conscience n’avait jamais été réellement en la présence de Dieu ; qu’il ne s’était jamais vu dans la lumière ; ne s’était jamais mesuré à la mesure divine ; et ne s’était jamais pesé à la balance du sanctuaire de Dieu. Au chapitre 29, nous en trouverons la preuve la plus frappante : là nous verrons s’étaler la forte et profonde racine de la satisfaction de soi-même dans le cœur de ce cher et honoré serviteur de Dieu ; racine qui trouvait un aliment dans les marques signalées de la faveur dont Dieu l’entourait.
Tout le chapitre renferme une plainte touchante au sujet de l’éclat terni de ses jours d’autrefois ; or, le ton et le caractère de cette lamentation prouvent, précisément qu’il était nécessaire que Job fût éclairé, pour apprendre à se connaître lui-même dans la lumière de la présence de Dieu qui sonde toutes choses.
Écoutons ses paroles : « Oh ! que ne suis-je comme aux mois d’autrefois, comme aux jours où Dieu me gardait ; quand sa clarté luisait sur ma tête, et que dans les ténèbres je marchais à sa lumière ; comme j’étais aux jours de mon automne, quand le conseil secret de Dieu présidait sur ma tente ; quand le Tout-Puissant était encore avec moi, et que mes jeunes gens m’entouraient ; quand je lavais mes pas dans le caillé, et que le rocher versait auprès de moi des ruisseaux d’huile ! — Quand je sortais pour aller à la porte par la ville, quand je préparais mon siège sur la place : les jeunes gens me voyaient et se cachaient, et les vieillards se levaient et se tenaient debout ; les princes s’abstenaient de parler et mettaient la main sur leur bouche, la voix des nobles s’éteignait, et leur langue se collait à leur palais. Quand l’oreille m’entendait, elle m’appelait bienheureux ; quand l’œil me voyait, il me rendait témoignage ; car je délivrais le malheureux qui implorait du secours, et l’orphelin qui était sans aide. La bénédiction de celui qui périssait venait sur moi, et je faisais chanter de joie le cœur de la veuve. Je me vêtais de la justice, et elle me revêtait ; ma droiture m’était comme un manteau et un turban. J’étais, moi, les yeux de l’aveugle et les pieds du boiteux ; j’étais un père pour les pauvres, et j’examinais la cause de celui qui m’était inconnu ; et je brisais la mâchoire de l’inique, et d’entre ses dents j’arrachais la proie.
Et je disais : J’expirerai dans mon nid, et mes jours seront nombreux comme le sable ; ma racine sera ouverte aux eaux, et la rosée séjournera sur ma branche ; ma gloire restera toujours nouvelle avec moi, et mon arc rajeunira dans ma main. On m’écoutait et on attendait, et on se taisait pour avoir mon conseil ; après que j’avais parlé on ne répliquait pas, et mon discours distillait sur eux ; et on m’attendait comme la pluie, et on ouvrait la bouche comme pour la pluie de la dernière saison.
Si je leur souriais, ils ne le croyaient pas, et ils ne troublaient pas la sérénité de ma face. Je choisissais pour eux le chemin et je m’asseyais à leur tête, et je demeurais comme un roi au milieu d’une troupe, comme quelqu’un qui console les a figés. Et maintenant, ceux qui sont plus jeunes que moi se moquent de moi, ceux dont j’aurais dédaigné de mettre les pères avec les chiens de mon troupeau ».
Ce sont, en effet, des expressions très remarquables. Elles n’ont rien qui ressemble au gémissement d’un esprit brisé et contrit. Rien n’annonce chez lui de l’aversion pour soi-même et la défiance qui en résulte ; aucune conscience de faiblesse ou d’impuissance. Dans le cours de ce seul chapitre, Job en appelle plus de quarante fois à lui-même, tandis que ses pensées ne se rapportent à Dieu que cinq fois. Là tout nous rappelle le « moi » qui prédomine dans le septième chapitre aux Romains : avec cette grande différence, toutefois, que dans l’épître, une pauvre, faible et misérable créature se trouve en présence de la sainte loi de Dieu, au lieu que, dans Job 29, le « moi » appartient à une personnalité importante, influente, admirée et presque adorée de ses semblables.
Découverte de la fausseté du monde et de sa versatilité.
Job devait dès lors être dépouillé de tout cela ; et si nous comparons le chapitre 29 avec le chapitre 30, nous pourrons nous représenter combien la marche de ce dépouillement a dû être douloureuse. Les premiers mots : « Et maintenant » ont une force particulière. Job dépeint le contraste frappant entre ces deux chapitres. Au chapitre 30, il n’est occupé que de lui-même. Ici, on n’entend que les « moi » et « je » ; mais combien tout est changé ! Les mêmes hommes qui le flattaient dans le temps de sa prospérité, le traitent avec mépris au moment de son malheur.
Ainsi en est-il toujours dans ce pauvre monde, faux et trompeur. Tout fera voir une fois la fausseté du monde, de même que l’esprit versatile de ceux qui sont prêts à crier aujourd’hui leur « Hosanna ! » et demain leur « Crucifie ! » On ne peut se fier à l’homme. Tout sourit, quand le soleil luit ; mais attendez que viennent les coups de vent de l’hiver, et l’on verra jusqu’à quel point on peut compter sur les assurances et les promesses de la nature. Tant que le « fils prodigue » avait encore de l'argent à dépenser, il trouva des amis pour profiter de son abondance ; mais lorsqu’il commence à être dans le besoin, « personne ne lui donne rien ».
Invectives amères contre les autres.
Ainsi en fut-il de Job, comme nous le voyons au chapitre 30. Néanmoins, l’affranchissement de soi-même et la découverte de la fausseté et de l’inconstance du monde ne sont pas tout ce dont on a besoin. On peut faire toutes ces expériences, et pour tout résultat n’avoir que le chagrin et le désenchantement, si l’on n’arrive pas jusqu’à Dieu. Tant que le cœur n’a pas trouvé en Dieu sa pleine satisfaction, il recule désolé, en voyant le revers du bonheur humain ; alors la découverte de l’inconstance et de la fausseté des hommes le remplit d’amertume. C’est ce que nous apprennent les paroles de Job au chapitre 30 : « Et maintenant, ceux qui sont plus jeunes que moi se moquent de moi, ceux dont j’aurais dédaigné de mettre les pères avec les chiens de mon troupeau ».
Était-ce là le sentiment de Christ ? Est-ce que Job aurait ainsi parlé à la fin du livre ? Certainement pas. Oh, non, cher lecteur ! Lorsque Job se trouva dans la présence de Dieu, il en eut ni avec l’égoïsme (du chapitre 29), et avec l’amertume (du chapitre 30). Écoutons encore ses épanchements : « Fils d’insensés, et fils de gens sans nom, ils sont chassés du pays. Et maintenant, je suis leur chanson et je suis le sujet de leur entretien. Ils m’ont en horreur, ils se tiennent loin de moi, et n’épargnent pas à ma face les crachats ; car Il a délié ma corde et m’a affligé : ils ont jeté loin tout frein devant moi. Cette jeune engeance se lève à ma droite ; ils poussent mes pieds et préparent contre moi leur chemin pernicieux ; ils détruisent mon sentier, ils contribuent à ma calamité, sans que personne leur vienne en aide ; ils viennent comme par une large brèche, ils se précipitent au milieu du fracas. Des terreurs m’assaillent, elles poursuivent ma gloire comme le vent, et mon état de sûreté est passé comme une nuée ».
On peut se souvenir que, dans un cas particulier, un apôtre, serviteur de Christ, a été contraint de se recommander et de se glorifier ou de se vanter un peu comme ouvrier du Seigneur. Loin de se complaire là-dedans, il s’appelle quatre fois insensé et une fois, fou (2 Corinthiens 11 v. 16, 17, 21, 23 ; 12 v. 11). Puis, il en revient aussitôt à sa faiblesse, à ses infirmités et à l’écharde en la chair.
Contraste avec le Seigneur Jésus.
Tout cela constituait les tristes expériences de Job. Mais des lamentations sur un bonheur évanoui, d’amères invectives contre les autres hommes ne servent à rien pour le cœur, pas plus que pour manifester l’esprit et la pensée de Christ, ou pour glorifier son saint Nom. Si nous regardons à la personne bénie du Seigneur, nous trouvons tout autre chose : Jésus, « débonnaire et humble de cœur », rencontra la résistance de ce monde ; toute son attente fut frustrée au milieu de son peuple d’Israël ; l’incrédulité et le manque d’intelligence de ses disciples, tout cela Jésus s’y soumit en disant simplement : « Oui, Père, car c’est ce que tu as trouvé bon devant toi ». Il était à même de se tenir à part de l’agitation des hommes, pour prendre son refuge en Dieu. De là, il faisait entendre cette douce parole : « Venez à moi, je vous donnerai du repos » (Matthieu 11 v. 28). Aucun dépit ; ni amertume, ni invectives, ni paroles dures ou désobligeantes, chez ce miséricordieux Seigneur, descendu dans un monde froid et sans cœur, pour y révéler l’amour parfait de Dieu et y poursuivre son service malgré toute la haine des hommes.
Il faut que les plus justes et les meilleurs des hommes rentrent dans l’ombre dès qu’on les compare à la mesure parfaite de l’amour de Christ. La lumière de sa gloire morale manifeste les défauts et les imperfections des plus parfaits entre les fils des hommes : « Afin qu’en toutes choses il tienne, lui, la première place ». Il dépasse de beaucoup Job ou Jérémie, s’il s’agit d’un patient dévouement par rapport à ce qu’il avait à supporter. Job succomba sous le poids de l’affliction. Il laissa échapper un torrent d’invectives amères contre son prochain ; puis il maudit le jour de sa naissance : « Après cela, Job ouvrit sa bouche et maudit son jour. Et Job prit la parole et dit : Périsse le jour auquel je naquis, et la nuit qui dit : Un homme a été conçu ! » (Chapitre 3 v. 13).
Nous trouvons cela, même chez Jérémie, cet homme béni de Dieu. Lui aussi, ne pouvant résister à la pression d’épreuves diverses et accumulées, donna essor à ses sentiments par des paroles amères : « Maudit le jour où je naquis ! Que le jour où ma mère m’enfanta ne soit point béni ! Maudit l’homme qui annonça des nouvelles à mon père, disant : Un enfant mâle t’est né, et qui le combla de joie ! Que cet homme-là soit comme les villes que l’Éternel a renversées sans s’en repentir ! Qu’il entende des cris le matin, et des clameurs au temps de midi ; parce qu’il ne m’a pas fait mourir dès le ventre. Ou ma mère, que n’a-t-elle pas été mon sépulcre ! et son ventre, que ne m’a-t-il toujours porté ! Pourquoi suis-je sorti du ventre, pour voir le trouble et l’affliction, et pour que mes jours se consument dans l’opprobre ? (Jérémie 20 v. 14 à 18).
Quel langage ! Il maudit l’homme qui apporta la nouvelle de sa naissance ; il le maudit parce que cet homme ne l’a pas fait mourir. Quel contraste présentent le patriarche et le prophète, en face de Jésus de Nazareth, doux et humble de cœur ! Lui, le Sauveur irréprochable, a traversé des épreuves plus nombreuses et plus terribles que tous ses serviteurs ensemble. Cependant, jamais un murmure n’arriva sur ses lèvres. Il se soumit à tout ; il marcha au devant des heures les plus sombres, avec ces mots : « La coupe que le Père m’a donnée, ne la boirai-je pas ? »
Précieux Seigneur, Fils du Père, combien tu es digne d’adoration ! Louange et adoration soient offertes à ton amour infini !