L’action des trois amis.3

L’action des trois amis.3

Certainement ses amis avaient tort, complètement tort, autant sous le rapport de leurs remarques sur Dieu que sous le rapport de leur manière d’agir avec Job. Mais leur tort ne justifie pas Job.


Nous voyons donc que Job « resta ferme dans sa perfection ». Il fait face avec calme aux rudes épreuves que Satan, avec la permission de Dieu, ose lui infliger. De plus il repousse avec décision le conseil insensé de sa femme. Il reçoit, en un mot, tout de la main de Dieu, et courbe la tête devant ses mystérieuses dispensations.

Insoumission et révolte de Job.

Tout cela doit être reconnu à sa place. Cependant l’apparition de ses trois amis provoque en Job un changement frappant. Déjà leur seule présence, le simple fait qu’ils sont spectateurs de sa misère, l’excite d’une manière sensible : « Et trois amis de Job apprirent tout ce mal qui lui était arrivé et vinrent chacun de son lieu, Éliphaz, le émanite, et Bildad, le Shukhite, et Tsophar, le Naamathite ; et ils s’entendirent ensemble pour venir le plaindre et le consoler. Et ils levèrent les yeux de loin, et ils ne le reconnurent pas ; et ils élevèrent leur voix et pleurèrent, et ils déchirèrent chacun sa robe et répandirent de la poussière sur leurs têtes en la jetant vers les cieux. Et ils s’assirent avec lui à terre sept jours et sept nuits, et nul ne lui dit une parole, car ils voyaient que sa douleur était très grande  ( 2 v. 11 à 13) ».

Ces trois hommes, nous aimons à le croire, étaient, au fond, animés de bons sentiments envers Job ; ce n’était pas un petit sacrifice de leur part de quitter leurs demeures pour venir consoler leur ami appauvri et abattu. Tout cela est facile à comprendre. Il est néanmoins évident que leur présence eut pour effet de réveiller dans le cœur de Job des sentiments et des pensées qui y avaient sommeillé jusque-là. Il avait supporté avec résignation la perte de ses enfants, de ses biens et de sa santé. Il avait repoussé les insinuations de Satan et le conseil de sa femme. Cependant la présence de ses amis renversa l’esprit du pauvre Job : « Après cela, Job ouvrit sa bouche et maudit son jour  (3 v. 1) ».

C’est très remarquable. Les amis n’avaient, selon toute apparence, pas dit un seul mot jusque là. Ils étaient assis, dans un silence complet, leurs vêtements déchirés, leurs têtes couvertes de poussière, assistant à une affliction dont ils ne pouvaient sonder le fond. Job lui-même dut rompre le silence ; tout le contenu du troisième chapitre est un épanchement de ses plaintes amères ; il fournit le triste témoignage d’un esprit insoumis. Il est, nous osons bien le déclarer, impossible qu’une âme enseignée en un degré quelconque à dire : « Seigneur, que ta volonté se fasse ! » puisse maudire son jour ou tenir le langage contenu au troisième chapitre de notre livre.

On a déjà dit souvent que pour quelqu’un qui n’a pas passé par des souffrances telles que celles de Job, il est facile de prononcer un jugement sur lui. Nous l’admettons volontiers ; nous ajouterons même que peut-être aucun autre n’aurait agi mieux dans de semblables circonstances. Mais ceci ne change rien à la signification du livre de Job, telle que nous avons le privilège de la saisir. Job était un vrai saint de Dieu ; mais, comme nous aussi, il avait besoin d’apprendre à se connaître. Il était nécessaire que les racines cachées de son état intérieur fussent découvertes à ses propres yeux, pour qu’il pût, en vérité, « avoir horreur de lui, et se repentir dans la poussière et dans la cendre ». Il lui manquait, en outre, un vrai et profond sentiment de ce que Dieu est, pour qu’il pût se confier en Lui dans toutes les circonstances possibles.

Contraste avec « Ma grâce te suffit » appris par Paul.

Toutes ces choses nous les cherchons en vain dans la manière d’agir de Job. « Job prit la parole et dit : Périsse le jour auquel je naquis, et la nuit qui dit : Un homme a été conçu… Pourquoi ne suis-je pas mort dès la matrice ?  (3 v. 2 à 11) ». Ce ne sont pas les expressions d’un esprit humilié et brisé qui a appris à dire : « Oui, Père, car c’est ce que tu as trouvé bon devant toi ». C’est un point important dans l’histoire d’une âme, lorsqu’elle est rendue capable de fléchir avec douceur sous les dispensations de la main de Dieu.

Une volonté brisée est un don rare et précieux. C’est un degré élevé dans l’école de Christ, quand on peut dire : « J’ai appris à être content en moi-même dans les circonstances où je me trouve (Philippiens 4 v. 11) ». Paul avait dû apprendre cela. Ce n’était pas dans sa nature ; il ne l’aurait sûrement jamais appris aux pieds de Gamaliel. Saul de Tarse ne se serait jamais contenté même de la plus haute position dans ce monde. Il fallait qu’il fût entièrement brisé aux pieds de Jésus de Nazareth, avant de pouvoir dire de cœur : « Je me contente ! » Il eut à réfléchir sur le sens de ces paroles : « Ma grâce te suffit », avant qu’il pût « se glorifier très volontiers dans ses infirmités ». L’homme qui tenait ce langage présentait le plus frappant contraste avec celui qui pouvait maudire son jour et dire : « Pourquoi ne suis-je pas mort dès la matrice ? » Hélas ! si Job eût été en la présence de Dieu, il n’aurait certainement pas pu prononcer de telles paroles. Il aurait pleinement reconnu pourquoi il n’était pas mort. Il se serait contenté, sans murmures, de ce que Dieu avait en réserve pour lui ; il aurait justifié Dieu en toutes choses. Or Job ne se trouvait pas dans la présence de Dieu, mais dans la présence de ses amis ; et ceux-ci montrèrent très clairement qu’ils avaient eux-mêmes, peu ou rien saisi du caractère de Dieu, et qu’ils n’avaient aucune intelligence du vrai but de ses voies à l’égard de son cher serviteur Job.

Les trois amis de Job, leurs caractéristiques et leur action.

Notre intention n’est point d’entrer plus avant dans les entretiens qui ont eu lieu entre Job et ses serviteurs ; ses discours remplissent vingt-neuf chapitres. Nous ne voulons prendre que quelques fragments des discours des trois amis, pour mettre le lecteur à même de se faire une idée du faux terrain sur lequel se tenaient ces trois hommes.

Éliphaz : l’expérience.

« Et Éliphaz, le émanite, répondit et dit : Si nous essayons de t’adresser une parole, en seras-tu irrité ? Mais qui pourrait se retenir de parler ? Voici, tu en as enseigné beaucoup, et tu as fortifié les mains languissantes ; tes paroles ont tenu droit celui qui chancelait, et tu as affermi les genoux qui ployaient ; mais maintenant le malheur est venu sur toi, et tu es irrité ; il t’atteint, et tu es troublé. Ta crainte de Dieu n’est-elle pas ta confiance, et l’intégrité de tes voies, ton espérance ? Souviens-toi, je te prie, qui a péri étant innocent ? et où les hommes droits ont-ils été détruits ? Selon ce que j’ai vu, ceux qui labourent l’iniquité et qui sèment la misère, la moissonnent  (4 v. 1 à 8) ». Puis encore : « J’ai vu le sot s’enraciner, et soudain j’ai maudit sa demeure (5 v. 3 ; voyez aussi chap. 15 v. 17) ».
Ces sentences montrent, sans équivoque, qu’Éliphaz est de cette classe de gens, qui tirent presque toujours leurs démonstrations de leurs propres expériences. Son point de départ était : « J’ai vu ». Ce que nous avons vu pour autant qu’il s’agit de nous, peut être assez vrai. Nous nous trompons néanmoins, lorsque nous faisons de notre expérience une règle générale ; c’est là une erreur, vers laquelle inclinent des milliers de personnes. Qu’est ce que, par exemple, l’expérience d’Éliphaz avait à faire avec la position de Job ? Il n’avait peut-être jamais rencontré un cas, qui fût pleinement semblable à celui-là ; or, dès qu’il n’existe qu’un seul trait de ressemblance entre deux cas, la démonstration fondée sur l’expérience de l’un n’a plus aucune utilité pour l’autre. Qu’est-ce qu’Éliphaz a gagné par son jugement ? Absolument rien. À peine avait-il achevé de parler, que Job, qui ne lui avait pas prêté la moindre attention, reprit le cours de ses plaintes, en y ajoutant une justification de lui-même et des récriminations amères contre la manière de faire de Dieu (6 et 7).

Bildad : la tradition des anciens.

Bildad prend la parole le second. Il se place sur un tout autre terrain que le premier ami. Il allègue une seule fois ses expériences, ou ce qu’il avait pu observer. Il s’en réfère à l’antiquité : « Car interroge, je te prie, la génération précédente, et sois attentif aux recherches de leurs pères ; car nous sommes d’hier et nous n’avons pas de connaissance, car nos jours sont une ombre sur la terre. Ceux-là ne t’enseigneront-ils pas, ne te parleront-ils pas, et de leurs cœurs ne tireront-ils pas des paroles ?  (8 v. 8 à 10) ».

Il faut convenir que Bildad ouvre devant nous un champ beaucoup plus vaste que celui d’Éliphaz. L’autorité d’une multitude de « Pères » a beaucoup plus de poids, elle mérite plus d’estime que l’expérience d’un simple individu. En outre, il y a en apparence beaucoup plus de modestie à se laisser guider par la voix de tant d’hommes plus sages et plus exercés, plutôt que par la lumière de sa propre expérience. Cependant, ni la propre expérience, ni la morale des anciens, ne peuvent rien décider ici. La première peut être vraie, dans sa limite ; on trouvera cependant à peine deux personnes, dont l’expérience soit tout à fait identique. En ce qui concerne le témoignage des anciens, n’y règne-t-il pas la plus grande confusion ? Ils diffèrent souvent l’un de l’autre sur les points les plus importants, de sorte qu’il ne se peut rien de plus indécis et de plus vacillant que la voix des temps anciens, que l’autorité des pères.

En conséquence, comme c’était à prévoir, les paroles de Bildad n’eurent pour le malheureux Job pas plus de poids que celles d’Éliphaz. L’un se tenait aussi loin de la vérité que l’autre. À la lumière de la révélation divine, leurs paroles se montreront dans toute leur non valeur. La vérité de Dieu est la seule bannière, la seule autorité. C’est à sa mesure que tout doit être mesuré ; sous son autorité tout doit, tôt ou tard, s’incliner. Personne n’a, en aucune manière, le droit de considérer son expérience comme une mesure pour d’autres ; or, si pas un homme n’a ce droit, une multitude d’hommes ne l’ont pas davantage.

En un mot, il faut que la voix de Dieu, et non la voix de l’homme, nous gouverne. Ni l’expérience, ni la tradition des anciens, mais la parole de Dieu seule prononcera le jugement, au dernier jour. C’est là une vérité importante et sérieuse ! Puissions-nous ne jamais la perdre de vue ! Si Éliphaz et Bildad avaient discerné cela, leurs paroles auraient eu un bien plus grand poids pour leur pauvre ami désolé. Jetons pourtant encore un coup d’œil sur quelques paroles du troisième ami.

Tsophar : le légalisme.

Tsophar, le Naamathite, dit : « Oh ! qu’il plût à Dieu de parler et d’ouvrir ses lèvres contre toi, et de te raconter les secrets de la sagesse, comment ils sont le double de ce qu’on réalise ! Et sache que Dieu laisse dans l’oubli beaucoup de ton iniquité ». Et encore : « Si tu prépares ton cœur et que tu étendes tes mains vers lui, si tu éloignes l’iniquité qui est dans ta main, et que tu ne laisses pas l’injustice demeurer dans tes tentes, alors tu lèveras ta face sans tache, tu seras ferme et tu craindras pas  (11 v. 5 et 6, 13, 14, 15) ».

Ces paroles sentent le légalisme. Elles montrent clairement que Tsophar n’avait pas un vrai sentiment du caractère de Dieu. Il ne connaissait pas Dieu. Personne ne peut, avec une vraie connaissance de Dieu, parler de lui comme de quelqu’un qui ouvre sa bouche contre un pauvre pécheur abattu, et qui oublie plusieurs de ses injustices. Que son Nom en soit béni ! Dieu n’est pas contre nous, mais pour nous. Il n’est point un créancier exigeant, mais un généreux, et noble donateur.

Puis, nous entendons plus loin ces paroles : « Si tu prépares ton cœur ». Mais si Job ne l’a pas bien préparé, que faire alors ? Il est vrai qu’un homme devrait toujours avoir bien préparé son cœur ; il en sera ainsi chaque fois que son état moral sera bon, sinon, il ne s’y trouvera que du mal ; cet homme sera complètement sans force. Qu’a-t-il alors à faire ? Tsophar, ni personne de son école, ne peut le lui dire ; ils savent seulement que Dieu est un juge sévère qui, s’il ouvre la bouche, ne peut que parler contre le pécheur.

Pouvons-nous donc nous étonner que Tsophar, et ses deux compagnons, soient incapables de convaincre Job ? Le légalisme, la foi aux anciens et l’expérience particulière ont un seul et même fond ; ils sont également défectueux, bornés et faux. Rien de cette espèce ne peut être d’aucun profit dans le cas de Job. Pas un des trois amis ne comprit Job, et, qui plus est, ils ne connaissaient ni le caractère de Dieu, ni, par conséquent, son intention relativement à l’épreuve de son cher serviteur. Ils étaient complètement dans l’erreur. Ils ne savaient pas comment ils devaient présenter Dieu à leur malheureux ami ; ils étaient donc hors d’état d’amener la conscience de Job en la présence de Dieu. Au lieu de le conduire à se juger lui-même, ils excitèrent en lui la pensée de se justifier. Ils n’avaient pas introduit Dieu sur la scène. Ils disaient plusieurs choses vraies ; mais ils ne possédaient pas la vérité. L’expérience, la morale des pères et le légalisme étaient mis en avant ; la vérité restait cachée.

Effet des trois amis sur Job.

Par cette raison, les trois amis ne purent aider le pauvre Job. Leur ministère était borné ; au lieu de l’amener à se taire, ils le poussèrent à une lutte qui paraissait interminable. Il ne demeure pas en arrière d’un mot envers eux : « Vraiment », dit-il, « vous êtes les seuls hommes, et avec vous mourra la sagesse ! moi aussi j’ai du sens comme vous, je ne vous suis pas inférieur ; et de qui de telles choses ne sont-elles pas connues ?… Ce que vous connaissez, moi aussi je le connais ; je ne vous suis pas inférieur… Mais pour vous, vous êtes des forgeurs de mensonges, des médecins de néant, vous tous ! Oh ! Si seulement vous demeuriez dans le silence ! et ce serait votre sagesse… J’ai entendu bien des choses comme celles-là ; vous êtes tous des consolateurs fâcheux. Y aura-t-il une n à ces paroles de vent ? Qu’est-ce qui t’irrite, que tu répondes ? Moi aussi, je pourrais parler comme ; si votre âme était à la place de mon âme, je pourrais entasser des paroles contre vous et secouer ma tête contre vous !… Jusques à quand affligerez-vous mon âme, et m’accablerez-vous paroles ? Voilà dix fois que vous m’avez outragé, vous n’avez pas honte de m’étourdir… Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous, mes amis ! car la main de Dieu m’a atteint » (12 v. 2 et 3 ; 13 v. 2, 4, 5 ; 16 v. 2 à 4 ; 19 v. 2, 3, 21) ».
Toutes ces expressions indiquent combien Job était loin d’avoir cet esprit brisé, que produit constamment la présence de Dieu. Certainement ses amis avaient tort, complètement tort, autant sous le rapport de leurs remarques sur Dieu que sous le rapport de leur manière d’agir avec Job. Mais leur tort ne le justifie pas. Si sa conscience eût été en la présence de Dieu, il n’aurait pas répliqué à ses amis, quand même leur erreur eût été mille fois plus grande et leur manière d’agir encore mille fois plus sévère. Il aurait humblement courbé la tête et laissé passer sur lui le temps des reproches et des accusations. Il aurait fait tourner à son profit la sévérité de ses amis, en la considérant comme une discipline, salutaire pour son cœur. Mais non ; Job n’avait pas encore fait son compte avec lui-même. Il se justifiait, blâmait son prochain et se trompait à l’égard de Dieu. Il avait besoin d’un autre ministère pour mettre son âme dans une position convenable devant Dieu.

Plus nous pénétrons dans la conversation de Job avec ses amis, plus nous reconnaissons clairement l’impossibilité où ils étaient de s’entendre. Job faisait tout pour se justifier ; eux faisaient tout pour l’inculper. Il n’était ni brisé, ni soumis, et leur manière d’agir le maintenait dans son état d’opposition. Si, des deux côtés, on avait pris la position convenable, les résultats auraient été tout autres. Si Job s’était jugé, et s’était regardé comme n’étant rien, ses amis n’auraient plus su que dire. Et si, d’un autre côté, ils avaient agi envers lui avec douceur, de manière à le gagner, ils auraient beaucoup plus tôt atteint son cœur.

Dans l’état actuel du débat, on ne pouvait prévoir aucune issue favorable. Job ne pouvait voir en lui-même aucune injustice ; eux n’y pouvaient rien trouver de bon. Il était fermement décidé à maintenir sa probité ; eux se donnaient tout autant de peine pour découvrir en lui des torts et des manquements. Il ne se trouvait entre eux aucun point de contact, aucun terrain commun pour s’entendre. Job ne manifestait aucun repentir ; eux n’avaient pour lui aucune compassion. Des deux côtés, on travaillait sur des principes opposés ; c’était le moyen de ne jamais se rencontrer. Un ministère d’une tout autre espèce était donc désirable ; et ce ministère est introduit dans la personne d’Élihu.

« Et ces trois hommes cessèrent de répondre à Job, parce qu’il était juste à ses propres yeux. Alors s’enflamma la colère d’Élihu, fils de Barakeël, le Buzite, de la famille de Ram : sa colère s’enflamma contre Job, parce qu’il se justifiait lui-même plutôt que Dieu ; et sa colère s’enflamma contre ses trois amis, parce qu’ils ne trouvaient pas de réponse et qu’ils condamnaient Job  (Job 32 v. 1 à 3) ».

 

 

Arthur KatzUn message de Charles H.Mackintosh
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