Application.5
Le ministère d’Élihu pénètre l’âme avec une plénitude et une force extraordinaires ; il est en contraste absolu avec le ministère grandement défectueux des trois amis.
Digression : l’état de notre cœur et de notre conscience. Seul il était capable de mettre fin à la controverse entre un grossier égoïsme et un présomptueux légalisme, controverse qui menaçait de s’étendre à l’infini.
Rôle néfaste du « Moi ».
Cependant une controverse semblable n’est pas sans valeur ni sans intérêt pour nous. Elle nous fait voir distinctement que deux parties n’arriveront jamais à s’entendre, s’il n’existe d’un côté ou de l’autre un certain degré de brisement de cœur. Non seulement dans le monde, mais aussi dans l’Église, il se trouve beaucoup d’obstination et d’orgueil, beaucoup d’activité propre, partout où le « moi » joue un grand rôle ; même là où on le soupçonne le moins : savoir dans les choses qui ont rapport au saint ministère pour Christ. Jamais cependant l’égoïsme ne porte un caractère aussi détestable que dans le service pour notre Seigneur qui s’est anéanti lui-même ; de qui toute la vie a été un complet abandon de lui-même, et qui ne chercha jamais sa propre gloire, ni son propre intérêt, ni sa propre satisfaction.
Et pourtant, hélas ! ce « moi » haïssable, non subjugué, joue un bien grand rôle sur le terrain de la confession chrétienne et du ministère chrétien. Qui pourrait le nier ? Si nous examinons l’entretien remarquable entre Job et ses amis, nous voyons avec surprise que, dans les chapitres 29 et 31, le discours de Job se rapporte à lui environ cent fois. Bref, c’est « je » et « moi » tout le long.
Mais dirigeons nos regards sur nous-mêmes. Jugeons notre propre cœur dans son activité secrète. Considérons nos voies à la lumière de la présence divine. Mettons nos actes et tout notre service sur la balance du sanctuaire de Dieu. Alors, nous pourrons discerner combien ce détestable moi s’est glissé comme une chaîne sombre, impure, dans tout le tissu de notre vie chrétienne, et de notre service chrétien. D’où vient, par exemple, qu’aussitôt que le moi est touché, nous sommes prêts à monter sur nos grands chevaux ? Pourquoi sommes-nous si facilement blessés par les réprimandes, même quand elles sont faites avec le plus de douceur ? Pourquoi, enfin, nos sympathies et notre prédilection se portent-elles si volontiers vers ceux qui ont une bonne opinion de nous, qui apprécient notre ministère, qui sont du même avis et du même sentiment que nous ?
La lumière du christianisme.
Toutes ces choses n’ont-elles rien à nous dire ? Est-ce qu’elles ne nous appellent pas à nous dégager premièrement de notre grand égoïsme, avant de juger celui de l’ancien patriarche Job ? Sûrement il n’agissait pas bien ; mais nous sommes encore beaucoup plus engagés dans le mal. On doit beaucoup moins s’étonner que ce patriarche, vivant dans le crépuscule de cet âge reculé, se fût laissé prendre au piège de l’orgueil, que de nous y voir tomber si souvent, nous qui jouissons de la pleine lumière du christianisme.
Christ n’était pas encore venu. Aucune voix des prophètes n’avait encore frappé l’oreille des hommes. La loi elle- même n’avait pas encore été donnée au temps de Job. Nous ne pouvons vraiment nous faire qu’une très faible idée de la pâleur du rayon de lumière qui éclairait la marche des hommes aux jours de Job ; tandis que le privilège nous est échu, ainsi que la sainte responsabilité de pouvoir marcher dans le plein jour du christianisme. Christ est venu. Il a vécu, il est mort, ressuscité et monté au ciel. Il a envoyé le Saint Esprit demeurer en nous, comme le témoin de sa gloire, comme le sceau de la rédemption accomplie, et comme les arrhes de l’héritage jusqu’à la rédemption de la possession acquise.
Le cercle de la révélation, ou le canon des Écritures, est clos. La parole de Dieu est complète. Nous avons sous les yeux les récits divins de Celui qui s’est anéanti et qui allait de lieu en lieu faisant du bien ; nous savons ce qu’il faisait et comment il le faisait ; ce qu’il disait et comment il le disait ; qui il était et ce qu’il était. Nous savons qu’il est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il condamna le péché et l’ôta ; que notre vieille nature, cette chose haïssable appelée « moi », le « péché », la « chair », fut crucifiée, ensevelie et ôtée de devant la face de Dieu ; que sa domination a pris fin et que sa puissance est mise de côté pour toujours. De plus nous participons à la nature divine ; le Saint Esprit demeure en nous ; nous sommes membres du corps de Christ, de sa chair et de ses os ; nous sommes appelés à marcher comme Lui a marché ; nous sommes héritiers de la gloire, héritiers de Dieu et cohéritiers de Christ.
Étendue restreinte des connaissances de Job et de son temps.
Qu’est-ce que Job savait de tout cela ; Rien. Comment aurait-il pu savoir ce qui ne fut révélé que quinze siècles après lui ? La fin du chapitre 19 nous montre l’étendue de la connaissance de Job, par ses paroles véhémentes : « Oh ! si seulement mes paroles étaient écrites ! si seulement elles étaient inscrites dans un livre, avec un style de fer et du plomb, et gravées dans le roc pour toujours ! Et moi, je sais que mon rédempteur est vivant, et que, le dernier, il sera debout sur la terre ; et après ma peau, ceci sera détruit, et de ma chair je verrai Dieu, que je verrai, moi, pour moi-même ; et mes yeux le verront, et non un autre : — mes reins se consument dans mon sein » (19 v. 23 à 27).
Voilà la connaissance de Job, voilà sa confession de foi. Quel cercle restreint de connaissance, si nous le comparons avec celui des vérités au milieu desquelles nous avons le privilège d’être introduits ! À travers un faible crépuscule, Job regardait en avant à quelque chose qui devait arriver dans un avenir éloigné. Au milieu de l’abondance des révélations divines, nous voyons dans le passé la même chose déjà accomplie. Job pouvait dire de son Rédempteur : « Le dernier, il sera debout sur la terre ». Nous savons, nous, que notre Rédempteur est assis sur le trône de la majesté dans les cieux, après avoir vécu et travaillé sur la terre et être descendu dans la mort.
Inconséquences de ceux qui « savent ».
En un mot, ce que Job possédait, en fait de lumière et de privilèges, peut à peine se comparer avec ce en quoi nous nous réjouissons ; c’est pourquoi nous sommes d’autant plus impardonnables, lorsque nous usons de la moindre indulgence envers les diverses formes d’égoïsme ou d’amour-propre qui se manifestent en nous. Notre renoncement devrait toujours être en rapport avec la quantité de nos prérogatives spirituelles. Malheureusement il n’en est point ainsi.
Notre confession de foi va jusqu’aux vérités les plus élevées ; mais notre caractère et notre marche se ressentent peu de leur influence. Nous parlons de notre vocation céleste, mais nos voies sont terrestres, souvent charnelles ou encore pires. Nous nous glorifions de la plus haute position, mais notre état pratique ne s’accorde pas avec elle. Notre conduite, de fait, ne répond pas à la relation avec Dieu à laquelle nous professons d’avoir été amenés. Nous sommes orgueilleux, susceptibles, capricieux et facilement irrités. Nous sommes souvent aussi disposés que notre patriarche Job, à nous laisser aller à des efforts pour nous justifier.
D’un autre côté, lorsque nous sommes appelés à reprendre quelqu’un, avec quel manque d’indulgence et avec quelle dureté ne nous acquittons-nous pas trop souvent de ce service nécessaire ! Combien on manque souvent, en cela, de douceur et de tendresse ! Qu’il y a peu de bonté, peu de cette « huile » du bon Samaritain ! Qu’il est rare de trouver chez nous un cœur brisé et des yeux en pleurs ! Combien elle est petite la force qui doit amener le frère égaré à baisser la tête et à s’humilier ! Pourquoi donc cela ?
Simplement, parce que notre propre état n’est pas bon : « Frères, si un homme vient à être surpris en quelque faute, vous qui êtes spirituels, redressez-le avec un esprit de douceur. Prends garde à toi-même, de peur que tu ne sois aussi tenté. Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Christ » (Galates 6 v. 1 et 2). Si, comme Job, nous sommes tombés dans le travers de l’amour-propre et de la justification de soi-même, nous serons aussi incapables que ses amis de provoquer chez notre frère le jugement de lui-même. Nous ferons étalage de notre expérience, comme Éliphaz ; nous agirons dans un esprit légal, comme Tsophar ; ou bien, nous introduirons l’autorité humaine, comme Bildad ! Qu’il est rare que nous manifestions la pensée de Christ ! Et par conséquent combien se montre peu la puissance du Saint Esprit, ou l’autorité de la parole de Dieu !
Quand la marche et la piété pratique ne sont pas à la hauteur de la connaissance de la vérité.
Devoir écrire ces choses n’est point agréable. Au contraire, il nous est pénible de montrer les faiblesses et de découvrir les causes qui paralysent notre service réciproque. Mais nous reconnaissons la nécessité d’un tel langage ; car nous sommes sérieusement affligés de l’indifférence et du relâchement croissant qui se montrent de nos jours. Rien n’est plus déplorable que la disproportion entre notre profession et notre marche.
Les vérités les plus élevées sont professées en liaison immédiate avec beaucoup de mondanité et de satisfaction de soi. Dans certains cas il semble vraiment que plus la profession doctrinale est élevée, plus la marche est abaissée. Nous voyons au milieu de nous la connaissance de la vérité très augmentée, mais où est sa puissance manifestée ? Des torrents de lumière sont répandus dans l’intelligence, mais où sont les profonds exercices de cœur et de conscience en la présence de Dieu ? Une doctrine non falsifiée d’après la lettre est développée ; mais où en est l’esprit ?
Assurément, la saine doctrine, non falsifiée, est un bien, que nous ne saurions estimer trop haut ; et nous ne déprécions nullement la confession de la précieuse vérité dans ses formes les plus élevées. Que Dieu nous garde d’écrire une ligne qui puisse d’aucune manière diminuer, dans le cœur du lecteur, le sentiment de la valeur inexprimable et de l’importance de la saine doctrine ! Mais, cher lecteur, ne déplorez-vous pas, au milieu de nous, l’absence de consciences délicates et de cœurs exercés ? Notre piété pratique marche-t-elle de front avec la profession de nos principes ou avec les principes que nous professons ? Notre conduite extérieure est-elle à la hauteur de la doctrine professée par nous ?
Hélas ! il n’est que trop clair que la vérité n’agit pas sur nos consciences comme cela serait à désirer ; que la doctrine ne brille pas dans notre vie, et que la pratique n’est pas à l’unisson avec la profession.
Ne pas tolérer le relâchement, l’indifférence et la tiédeur laodicéennes.
Nous parlons selon les sentiments de notre cœur. Dieu nous est témoin que nous écrivons ces lignes sous son regard, en nous jugeant nous-mêmes, avec l’ardent désir que le tranchant de la vérité pénètre dans notre propre âme et y atteigne les racines cachées des choses. Mais nous sentons aussi que nous avons à accomplir un devoir sacré envers chaque lecteur, aussi bien qu’envers l’Église de Dieu ; or, ce ne serait pas s’acquitter de ce devoir que de présenter seulement la vérité lorsqu’elle est belle, aimable, pour le cœur naturel.
Oh ! puisse la voix de l’avertissement atteindre l’oreille et la conscience de nous tous. Comment pourrions-nous tolérer le relâchement, l’indifférence, la tiédeur laodicéenne ; ces choses qui préparent la voie à la plus grossière incrédulité et à l’athéisme pratique ? Comment pourrions-nous tolérer ces choses dans notre cœur et dans notre conscience, et vouloir, à côté de cela, réveiller les autres de leur sommeil ? Nous sentons vivement que, si le mal est surmonté par le bien, la chair subjuguée par l’Esprit, le « moi » remplacé par Christ, et l’amour du monde déplacé par l’amour du Père, la voie du ministère est aplanie devant nous.
Or, nous ne devons pas seulement sentir cela et l’admettre comme une vérité, mais nous devons aussi, à l’égard de toute notre carrière, nous livrer, dans le secret de la présence de Dieu, à un examen attentif et sérieux du cœur et de la conscience. Dieu en soit béni ! nous pouvons nous occuper de ces exercices, devant le trône de la grâce. « La grâce règne ». Quelle précieuse et consolante vérité ! Peut-elle affaiblir la valeur du jugement de soi-même ? Aucunement. Le sentiment de la grâce donne à ce jugement sa vraie profondeur. Nous avons à faire avec la grâce triomphante ; et c’est précisément celle-ci qui nous enseigne à n’avoir aucun égard pour notre moi, mais à le mortifier entièrement.
Que le Seigneur nous rende réellement humbles, sérieux, zélés et dévoués ! Que l’expression intime de notre cœur soit : « Seigneur, je suis à toi, à toi seul, tout à toi, à toi pour toujours ! »