Vocation du prophète et tâche prophétique

Vocation du prophète et tâche prophétique

Qu'est-ce qu'un prophète ? En quoi consiste sa fonction, dans le passé comme dans le présent ?

 Qu'est-ce qu'un prophète ?

 1. Sans compromis, sans crainte de l'homme, sans se laisser fléchir par lui, le prophète apporte une critique mettant à nu ce mensonge qu'est « la vérité de convention », ces prémisses que l'on accepte sans réflexion ni contestation, et qui sont la mort, non la vie.

2. Il s'agit d'exprimer la vision qui est celle de Dieu, et non un ensemble de préjugés personnels ou populaires (même si d'aventure de tels préjugés coïncidaient avec la vision de Dieu). Il faut énormément de discernement pour se livrer à cette critique. Il y faut une capacité d'analyse aiguisée par le Saint Esprit ; il est hors de question de porter des coups à l'aveuglette, d'obtenir des effets faciles au moyen de généralisations grossières (par exemple « Rome », « Babylone », etc.).

3. Le mode de vie du prophète doit être par lui-même une répudiation du mensonge, un rejet total des penchants et des pratiques de ce système mensonger, même si la société et l'Eglise les acceptent.

4. La parole prophétique ne se borne pas à révéler le mensonge ; elle le condamne et le juge. C’est une parole qui produit une « destruction divine » : « Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais point parlé, ils n'auraient pas de péché. Maintenant, ils n'ont pas d’excuse pour leur péché (Jean 15 v. 22) ».

5. L'autorité du prophète, c’est à dire la force de pénétration de sa parole, dépend de son mode de vie: Il faut qu'il soit entièrement séparé de ce qu'il critique. Son autorité dépend aussi du degré d'intimité réelle qu'il entretient avec le Dieu de vérité (1 Corinthiens 2 v. 12). Vraisemblablement, c'est dans la solitude qu'il posera ses actes d'obéissance les plus radicaux ; mais le prophète n'en est pas moins un homme inséré dans une communauté, inséré dans le Corps. Il n'y a là nulle idéalisation. Le prophète lui-même se fait souvent critiquer par les autres, et c'est ce qu'il désire. Un « prophète » qui préfère rester isolé, qui ne se frotte pas aux autres, ou qui est entouré par du « personnel » qui le flatte et aime être flatté en retour est sans doute un faux prophète ; ou alors il est en passe de le devenir.

6. La tâche prophétique consiste à établir une conscience autre, une conscience suffisamment valide et puissante pour que le mensonge soit évincé. Le prophète présente une vision de la réalité, une vision céleste de choses qui n’existent pas encore, et qui contredisent sur presque toute la ligne ce qu'il est convenu d'appeler « la réalité ». Il présente une vision qui dans l'expérience de ceux qui écoutent n'a ni précédent, ni modèle préétabli. Ceux qui adoptent cette vision se condamnent à être « étrangers et voyageurs sur la terre ». Ils sont capables de mourir « sans avoir obtenu les choses promises (Hébreux 11 v. 13) ». Ils ont confiance dans cet héritage qui sera leur dans la vie à venir. Ils n'en deviennent pas pour autant inaptes à la vie présente ; ils deviennent au contraire plus redoutables aux yeux des puissances des ténèbres, qui les craignent.

7. Ainsi, le prophète restaure une vision perdue, une vision capable de fortifier le peuple de Dieu, en particulier en temps de crise, quand il importe de transformer le désespoir en espérance. Mais il faut d'abord que les gens soient dépouillés de leurs fausses espérances par la parole de ce même prophète. Il se peut que cette parole les porte à désespérer, avant qu'ils ne soient remplis d'espérance. Le prophète ne se dérobe pas, même s'il est obligé de se montrer « cruel » avant de « faire du bien ».

8. En un mot, le prophète amène l'instant de vérité. Il se tient devant le Conseil du Seigneur (Jérémie 23 v. 18 à 22 et 1 Rois 17). Il est capable de voir où est l'erreur, et d'apporter droitement et sans équivoque la vérité, même si cette dernière contredit le consensus général. Dieu ne justifie pas toujours immédiatement la fidélité et l'obéissance du prophète. Dieu ne permet pas toujours que le feu descende aussitôt. Dans la plupart des cas, l'obéissance ne se vérifie que bien plus tard. C'est pourquoi le prophète doit supporter la colère ou la déconvenue de ses auditeurs, et doit aussi courir le risque de passer à côté de la vérité divine, car il n'ose pas négliger l'occasion qui s'offre à lui (cette angoisse-là met le comble à la souffrance du prophète). Walter Brueggemann (« The Prophetic Imagination », Fortress Press, p. 88) écrit à juste titre: « Quand la douleur devient parole, alors la porte s'ouvre sur la nouveauté de vie ; et l'histoire de Jésus est l'histoire de cette entrée dans la douleur, l’expression verbale de cette douleur-là ». Cette tension née de l’incertitude, que ne peut atténuer aucune obéissance antérieure, explique les soupirs et les gémissements qui viennent souvent ponctuer les proclamations prophétiques.

9. Un prophète ne se spécialise pas dans les questions secondaires. Habité qu'il est par une parfaite jalousie pour la gloire de Dieu (c'est là la marque distinctive de l'apôtre et du prophète), il expose les buts ultimes de Dieu de façon à ce que ceux qui écoutent consentent aux sacrifices nécessaires à la réalisation de ces buts. Le prophète montre ce qui dans le passé ne fait qu'un avec une eschatologie future, dans laquelle la gloire théocratique atteindra son point culminant. Il redonne à l'éternité sa place prépondérante, là où les auditeurs l'avaient perdue de vue. Il montre le caractère absolu des choses divines là où le monde les a minimisées; il minimise et relativise les choses que le monde a voulu ériger en absolus.

10. Le prophète incarne la souffrance qu'entraîne cette adhésion-là ; il ne cache pas à ceux qui l'écoutent qu'une foi de cette nature est inséparable de la persécution, peut-être même du martyre ; et il emporte leur adhésion. Oui, ce renversement des valeurs (où l'on relativise ce qui était devenu un faux absolu, et où l'on absolutise ce qui avait été à tort relativisé) est en soi une souffrance dans ce monde qui s'est éloigné de Dieu. Le prophète annonce ou fait toucher du doigt la « fin » imminente de ce monde, qui surviendra dans des jugements, dans une fureur apocalyptique tels que chez les auditeurs il naît un désir profond de voir apparaître ces nouveaux cieux et cette nouvelle terre où la justice habitera!

11. Le prophète est par excellence un prédicateur inspiré : Il est cet « homme de Dieu », cet homme de l'Esprit, il possède cette identité que Dieu veut conférer à Son Eglise finitive. C'est un homme de la parole, qui a en horreur la légèreté. Il a un profond respect pour le langage, dont il protège l'intégrité, et qu'il protège des abus dévalorisants. Il communique une perception de la réalité divine (n'est-ce pas là le fondement de l'Eglise ?). Il va vers les hommes comme l'envoyé qui n'a quitté la présence divine que pour servir les buts de Dieu. Son histoire est faite d'attentes et de silences. Il considère le Dieu créateur aussi comme le Dieu de l’histoire, et ne veut jamais L'exclure du moindre événement, même des catastrophes dévastatrices, par une remise en question de Son omnipotence ou de Son omniprésence. Il cherche diligemment le sens de ces événements, il veut bien « faire un détour pour aller voir » le buisson ardent (= l'Holocauste) afin de demander « pourquoi ? », sachant bien qu'en ce faisant, il risque de ne jamais pouvoir retrouver la réalité telle qu'il la connaissait auparavant.

12. Quoique le pays ne puisse supporter tout ce qu'il dit (Amos 7 v. 10), il ne se relâche pas, ne recule pas. Il n'est pas mercenaire, il ne se laisse pas séduire pour « être dans le vent ». Il fuit les distinctions et les honneurs des hommes. Scrupuleux, il s'abstient toujours d'utiliser sa situation pour obtenir un avantage personnel (1 Samuel 12 v. 3 à 5). Naturellement surnaturel, il n'a rien d'affecté, il est normal, sans rien de séducteur dans son apparence et son comportement. Il dédaigne ce qui est spectaculaire, sensationnel, ou bizarre, car il désire avant toutes choses attirer les hommes vers Dieu et non vers lui-même.

 

Arthur KatzUn message de Arthur Katz
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