Malhonnête dans les petites choses, malhonnête en tout
J'entends ce principe en ce sens que si quelqu'un est malhonnête dans les petites choses, cela montre qu'il obéit à des motifs d'un autre ordre lorsqu'il paraît agir honnêtement dans les grandes choses.
« Celui qui est injuste dans les petites choses l'est aussi dans les grandes (Luc 16 v. 10) ».
C'est le principe que pose Jésus-Christ, et que je me propose d'exposer en montrant successivement :
I. En quel sens il ne faut pas le prendre.
II. Ce qu'il signifie.
III. Je prouverai ce qu'il affirme, à savoir que celui qui est malhonnête dans les petites choses, n'est en réalité pas honnête du tout.
IV. Je montrerai par quel principe agissent ceux qui, malhonnêtes dans les petites choses, semblent être honnêtes et même religieux dans les 'grandes.
V. Je mentionnerai plusieurs cas où l'on manque souvent de principes dans les petites choses.
I. Le sens que je ne donne pas au principe.
Je ne veux pas dire que si une personne est malhonnête dans les petites choses et se fait indûment de petits profits en de petites affaires, il soit certain que dans les affaires de grande importance, cette personne ne se conformera pas aux règles généralement admises de la loyauté commerciale.
Je ne veux pas dire que si un homme commet de petits vols ou se rend coupable de légères déprédations, il deviendra infailliblement un voleur de grand chemin. Il pourra, en effet, avoir bien des raisons pour ne pas commettre des délits plus graves. Je ne veux pas dire que si l'on tolère en soi des pensées impures, on en arrivera certainement à commettre l'adultère.
Que si l'on nourrit dans son cœur des pensées de convoitise, on ne manquera pas d'en arriver à commettre le vol.
Que si l'on se livre à des sentiments malveillants envers quelqu'un, on sera fatalement conduit au meurtre. Ou que si l'on tient un de ses semblables dans l'esclavage et qu'on le prive d'instruction et de tous les droits de l'homme, on en arrivera certainement à commettre d'autres crimes d'une pareille énormité.
Ou encore que si quelqu'un fait tort au gouvernement en de petites choses, comme l'affranchissement des lettres, les droits de douane, etc., il pillera le trésor public.
II. Quel est donc le sens du principe que pose ici Jésus-Christ, à savoir que si l'on est malhonnête dans les petites choses, l'on n'est réellement honnête en rien ?
J'entends ce principe en ce sens que si quelqu'un est malhonnête dans les petites choses, cela montre qu'en aucune chose il n'agit par principe. Il est donc certain que ce n'est pas la réelle honnêteté du cœur qui le conduit à agir correctement dans les grandes choses. Il obéit à des motifs d'un autre ordre lorsqu'il paraît agir honnêtement dans les grandes choses tandis qu'il agit malhonnêtement dans les petites.
III. Preuve de la vérité du principe.
Je ne veux pas le tenir pour accordé, malgré la déclaration formelle du Seigneur Jésus-Christ. Je désire au contraire mentionner plusieurs considérations à l'appui. Elles ne seront pas superflues, car on se figure généralement qu'il est possible d'être honnête dans les grandes choses et de mériter la réputation d'honnête homme, tout en étant coupable de malhonnêteté dans les petites choses.
1. Si un homme était pénétré d'un profond respect pour l'autorité de Dieu, et si c'était là la disposition habituelle de son âme, cette disposition se manifesterait tout aussi bien dans les petites choses que dans les grandes.
J'ajoute même que dans les petites choses, il est plus sûr encore qu'un tel homme agira consciencieusement, parce qu'ici la tentation à s'écarter de la droite voie sera plus faible. Qu'est-ce que l'honnêteté ? Si un homme n'a pas d'autres motifs pour agir honnêtement que l'égoïsme, le démon est aussi honnête que lui ; car je ne doute pas que le démon ne soit honnête dans ses rapports avec les autres mauvais esprits autant que le demande son propre intérêt. Mais, est-ce là de l'honnêteté ? Certainement non ! Si donc un homme n'a pas de motifs plus élevés pour agir honnêtement, il n'est pas honnête du tout.
2. Il est certain que si quelqu'un est malhonnête dans les petites choses, ce n'est pas l'amour de Dieu qui est le principe de ses actions.
Autrement, il sentirait que la malhonnêteté dans les petites choses est tout aussi incompatible avec cet amour que la malhonnêteté dans les grandes. Celle-là est une violation de la loi de Dieu aussi réelle que celle-ci, et celui qui aime véritablement. Dieu ne se permettra pas plus l'une que l'autre.
3. Il est certain que celui qui est malhonnête dans les petites choses n'est pas inspiré par un réel amour pour le prochain tel que le requiert la loi de Dieu.
S'il aimait son prochain comme lui-même, il ne voulait pas plus lui faire du tort dans les petites choses que dans les grandes. On s'expliquerait même mieux qu'il dans quelque grande chose, sous l'empire d'une puissante tentation. Rappelez-vous l'histoire de Job. Ce patriarche aimait vraiment Dieu et vous savez quelle souffrance il endura sans jamais vouloir prononcer un mot qui pût donner tort à Dieu. Quand sa détresse devint intolérable et que son âme entièrement dans les ténèbres ne pouvait trouver aucune raison à tant de souffrances ; quand sa femme elle-même osa l'inciter à maudire Dieu avant de mourir, il demeura ferme et dit :
« Tu parles comme une femme insensée. Quoi ! nous recevons de Dieu les biens et nous n'en recevrions pas les maux ! (Job 2 v. 10) ». Supposez-vous que Job aurait abandonné son intégrité en de petites choses ou dans de petites tentations ? Jamais ! Il aimait Dieu. Montrez-moi un homme qui aime son prochain, vous ne le verrez pas lui faire du tort en cédant à de légères tentations.
IV. J'examinerai quelques-uns des mobiles qui font agir celui qui, malhonnête dans les petites choses, semble néanmoins honnête dans les grandes.
Au premier abord, il semble que les faits contredisent notre texte. Jésus-Christ a dit : « Celui qui est injuste dans les petites choses, le sera aussi dans les grandes (Luc 16 v. 10) ». Or, il y a beaucoup de gens qui dans les petites choses manquent visiblement de principes et qui dans les grandes semblent honorables et même pieux. Comment expliquer cela ? La contradiction disparaîtra dès que nous aurons montré qu'ici l'honnêteté apparente dans les grandes choses s'explique par des motifs qui n'ont rien de commun avec l'intégrité du cœur.
1. On peut agir honnêtement dans les grandes choses par crainte du déshonneur.
On sait que certaines petites choses peu avouables ne parviendront certainement pas à la connaissance du public, qu'on ne fera pas du bruit pour si peu, aussi se les permet-on ; mais on se garde bien de se conduire d'une manière répréhensible en des choses plus importantes, parce qu'on sait que cela ferait du bruit. Ce qui revient à dire qu'une considération égoïste l'emporte sur une autre. Toujours égoïsme et non pas honnêteté !
Un commerçant voit qu'il se ferait grand tort s'il était malhonnête avec des hommes d'affaires, aussi traitera-t-il honnêtement avec eux pour d'importantes sommes ; mais en de petites choses, où il ne risque pas de compromettre sa réputation, il fera autant de profits illicites qu'il pourra. Il paiera une couturière un peu moins que cela n'est juste, tandis qu'il se gardera bien de tromper sur une balle de marchandise. Quand il a affaire à un homme qui n'a ni crédit, ni rang dans la société, il lui extorque quelques sous, vu qu'il n'y a pas là de scandale à craindre ; mais aucune considération ne le déterminera à faire un acte qui l'exposerait au blâme et au mépris du public.
2. La crainte des lois humaines peut porter un homme à agir honnêtement en des choses que la loi prendrait en considération ; tandis qu'en de petites choses que la loi dédaigne, ce même homme se permettra d'agir frauduleusement.
3. L'amour de la louange porte beaucoup de gens à agir extérieurement d'une manière honnête, honorable, et même pieuse, en ce qui doit, selon toute apparence, arriver à la connaissance du public.
On retiendra injustement quelques sous à un pauvre ouvrier sur le prix de son travail, tandis que dans les grandes occasions, on fera montre d'une libéralité princière. Les mêmes hommes qui font preuve de la plus sordide avarice vis-à-vis de leurs domestiques, de leurs couturières, et autres pauvres gens qu'ils emploient, leur disputant jusqu'au dernier centime, enverront par un hiver rigoureux des charretées de combustibles pour les pauvres, ou donne ont de grosses sommes d'argent aux différents comités de bienfaisance. Il est visible qu'ils agissent par amour pour la louange, c'est-à-dire par amour pour eux-mêmes, et non par amour pour Dieu et pour les hommes.
4. La peur de Dieu. On sera effrayé à la pensée de la colère de Dieu, de sorte que l'on se gardera de commettre des actes malhonnêtes de quelque importance ; mais l'on sera malhonnête en de petites choses parce que l'on suppose que Dieu ne prendra pas garde à ces bagatelles.
5. L'homme peut mettre un frein à ses convoitises pour obéir à un sentiment de propre justice.
Il agira honnêtement dans les grandes choses afin de conserver la bonne opinion qu'il a de lui-même ; tandis que dans de petites choses il agira comme un coquin.
J'ai dit en commençant que si un homme se permet un gain déshonnête en de petites choses, il n'en faut pas conclure que cet homme n'agira jamais avec une apparente droiture.
6. On peut, en effet, agir correctement dans les grandes choses sous l'empire des motifs les plus divers.
Tel qui commet de petits larcins peut avoir beaucoup de raisons (où l'honnêteté n'a rien à voir) pour ne pas se livrer au brigandage sur les grands chemins et pour ne pas pratiquer l'enlèvement des porte-monnaie dans les foules. Il peut n'avoir pas assez de courage, ou d'adresse, ou d'énergie ; il peut avoir peur de la loi, peur du déshonneur, et bien d'autres motifs de la même espèce.
On peut tolérer habituellement en soi des pensées impures sans arriver à commettre l'adultère. On peut être retenu non par un principe moral, mais par la frayeur, par le manque d'occasion, par toutes sortes de raisons. Mais il est certain que celui qui tolère en son âme des pensées, impures, agira d'une manière impure chaque fois qu'il n'y aura pas quelque raison étrangère à l'amour de Dieu pour l'en détourner.
Un homme peut aimer l'argent et ne pas voler ; mais il est animé d'un esprit qui le conduirait au vol, s'il n'était retenu par des motifs tirés de son intérêt personnel et des circonstances où il se trouve.
Un homme peut être colère et néanmoins ne jamais tuer quelqu'un dans sa colère. Mais sa haine le conduirait au meurtre s'il n'existait pas de motif intéressé qui s'y opposât.
Un homme peut opprimer son semblable, le tenir en esclavage, le priver d'instruction, le forcer à travailler pour lui, sans aucun salaire ; et cependant ne pas commettre le meurtre proprement dit, ne pas aller non plus en Afrique faire la traite des esclaves, et cela parce qu'il ne veut pas mettre en péril sa réputation et sa vie. En effet, si pour satisfaire son orgueil et son avarice, il dépouille son semblable de tout ce qui rend la vie désirable, ce n'est certainement pas par principe, je veux dire par amour pour Dieu ou pour l'homme, qu'il s'abstient d'aller plus loin dans la voie du crime.
De même, un individu qui vole au trésor des États-Unis les dix-huit centimes requis pour le port d'une lettre, ne sera pas empêché par ses principes de mettre le trésor à sec, s'il peut le faire avec la même espérance d'impunité. Les mêmes raisons qui lui permettent de faire l'un, lui permettront de faire l'autre.
Encore un exemple. Un homme se rend coupable d'exagération en racontant ce qu'il a vu, ou bien il présente les faits sous un jour qui n'est pas le vrai ; et cependant il n'oserait pas faire un grossier mensonge. Il est pourtant clair que s'il exagère, s'il colore et dénature les faits avec l'intention de les faire paraître autres qu'ils ne sont, il ment réellement ; et il en viendra à faire de grossiers mensonges quand son intérêt le demandera et qu'il ne sera plus retenu par aucune autre raison que le respect dû à la vérité.
V. Je mentionnerai quelques cas où bien des gens sont malhonnêtes dans les petites choses, tandis qu'ils semblent honnêtes et même pieux dans les grandes.
1. On rencontre souvent des gens qui font preuve d'un manque de principe presque absolu en ce qui concerne le paient de toutes sortes de petites dettes, tandis qu'ils mettent beaucoup de soin et d'exactitude à payer les traites des banquiers et à faire honneur à leurs affaires.
Voici par exemple un homme qui s'abonne à un journal ; le prix en est minime, de sorte que l'éditeur ne pourrait pas envoyer un agent spécial pour recueillir le prix des abonnements ; aussi notre homme attend-il des années avant de payer le sien, et peut-être ne le paie-t-il jamais. Ce même homme aurait remué ciel et terre plutôt que de ne pas payer à leur échéance les traites qui lui viennent du banquier.
Et pourquoi ? Parce que s'il ne les payait pas, elles seraient protestées et son crédit en souffrirait. Mais une petite dette de quatre ou cinq francs pour un journal n'occasionnera pas un protêt, il le sait bien, aussi ne s’en met-il point en peine ; tant pis pour l’éditeur qui sera dans l’embarras et qui devra faire des frais pour recouvrer son argent, ou s'en passer ! Évidemment cet homme ne paie pas les traites du banquier par vraie honnêteté, mais uniquement par égard pour son propre crédit et pour ses propres intérêts.
2. Voici un industriel qui emploie des couturières et pour pouvoir vendre meilleur marché que ses concurrents, il paie leur travail au-dessous de sa valeur. Il est clair que cet homme n'est honnête en aucune chose ; s'il semble l'être dans ses transactions publiques, ce n'est pas lui qu'il faut en remercier, car il ne faut pas en chercher la cause dans l'honnêteté de son cœur, mais bien dans son intérêt.
3. Chez d'autres, l'absence de principe se montre dans les petits vols qu'ils se permettent. S'ils sont pensionnaires dans une maison, ils voleront du combustible, par exemple. Ils ne veulent pas faire la dépense d'en acheter ; il ne leur en faut qu'un peu pour faire de temps en temps du feu le matin ; aussi en prendront-ils une poignée dans la provision du voisin quand le besoin s'en fera sentir. Celui qui agit de la sorte montre que son cœur est entièrement perverti.
Un individu était assis dans une chambre où un monsieur avait laissé sur la table un grand verre de vin et une cruche d'eau. Le monsieur sortit de la chambre et laissa par mégarde la porte légèrement entre baillée ; se retournant, il vit alors l'individu qui buvait une portion du vin, puis qui, pour cacher son méfait, achevait de remplir le verre avec l'eau de la cruche. Il est clair que cet individu prouvait par là qu'il aimait le vin, et que son honnêteté ne l'empêchait pas de voler ; il montrait que ses principes devaient faire, de lui un ivrogne, s'il en avait les moyens, et un voleur s'il en avait l'occasion. En fait et en regardant au cœur, c'est au cœur que Dieu regarde, il était tout à la fois un ivrogne et un voleur.
4. Bien des gens agissent malhonnêtement à l'égard d'objets perdus par autrui, surtout quand il s'agit de quelque objet de peu de valeur. Ils ont trouvé un canif ou un porte-crayon peut-être, et ils ne font pas de recherches pour en trouver le propriétaire, même quand ils ont quelque raison de soupçonner quel il peut être. Il est clair qu'ils feraient de même pour un portefeuille plein de billets de banque, s'il y avait chance égale de n'être pas connu. Cependant les mêmes gens, trouvant un portefeuille contenant vingt mille francs en billets de banque, publieront la chose dans les journaux et en feront grand tapage, faisant profession d'être des prodiges d'honnêteté. Le tout parce qu'ils savent bien que l'on ferait des recherches, que les billets sont numérotés, qu'ils seraient découverts, etc. Merveilleuse honnêteté que celle-là !
5. Beaucoup de gens se taisent sur de petites erreurs qui sont faites en leur faveur dans des règlements de compte, ou en changeant des valeurs, etc. Il est clair qu'il ne manque à ces gens-là que l'occasion, avec chance d'impunité, pour commettre des détournements beaucoup plus considérables.
6. On se permettra de la petite contrebande ; cela est fréquent. Combien de gens qui, revenant d'Angleterre, s'arrangent pour passer en contrebande quantité de petits articles ; ils pensent, que ce qu'ils font là n'est pas grave, vu que la somme qu'ils économisent ainsi est petite. Mais plus elle est petite, et plus le soin qu'ils auraient mis à la payer aurait mis en évidence leur intégrité et leur respect pour la loi. Le fait que la tentation est petite et qu'elle est cependant plus forte en eux que le principe de l'honnêteté, montre combien est faible en eux ce principe. Ces mêmes gens pas seraient en contrebande un navire s'ils pouvaient le faire avec la même facilité et la même impunité. Si l'on peut consentir à vendre son intégrité pour une petite somme, on n'aura pas d'objection à la vendre pour une grande.
7. On fraudera la poste en mainte petite chose (1).
(1) Suit, dans l'anglais, la mention d'un abus qui a disparu depuis l'invention des timbres-poste. Supprimée ici, en conséquence : en revanche, numéros 8 et 9, ajoutés (Note du traducteur).
8. Beaucoup de gens empruntent des livres, et ne se mettent pas en peine de les rendre. Ils n'y mettent ni soin, ni importance, ni conscience. Ils les oublient eux-mêmes ; ou bien ils pensent que le prêteur les oublie ; ou bien encore, ils pensent que s'ils ne les rendent pas, le prêteur attribuera le fait à un oubli de leur part. Dans tous les cas, pensent-ils, les conséquences n'en sont pas graves. Mais le principe ? Votre conduite ne montre-t-elle pas qu'il n'a aucune puissance en vous ? Et s'il n'a pas de puissance dans les petites choses, est-ce à lui que sera la puissance dans les grandes ?
9. Falsifications de marchandises.
Vin, denrées alimentaires, lait, etc. etc. Encore ici, beaucoup de gens montrent une totale absence de principe. Un peu d'eau dans le lait, peu de chose, disent-ils. Peu de chose ? Cependant vous cherchez à en mettre le plus que l'on peut, en mettre sans s'attirer du désagrément. Vous en mettez donc autant que vous pouvez. Et pourquoi ? Parce que votre propre intérêt, votre égoïsme le veut ainsi,
D'autre part, il est vrai, vous en mettez peu, peu en comparaison de ce que, matériellement, vous pourriez mettre encore. Mais si, à ce point de vue, vous en mettez peu, à quoi le devons-nous ? Pas à vos principes assurément ; mais à votre crainte de la police et de tous les ennuis que l'indignation de vos clients pourrait vous susciter, à votre crainte du déshonneur et de la ruine de votre industrie, c'est-à-dire encore une fois à votre propre intérêt, à votre égoïsme.
L'égoïsme est donc ici le seul principe. C'est lui qui vous fait mettre une si forte proportion d'eau et c'est encore lui qui s'oppose à ce que cette proportion soit plus forte. Si vous n'avez en ces petites choses d'autre principe que l'égoïsme, comment peut-on supposer que ce soit l'amour de Dieu et des hommes qui vous inspire en des choses plus considérables ?
Remarques.
1. L'état réel du cœur de l'homme se manifeste souvent avec plus d'évidence dans les petites choses que dans les grandes.
A cet égard, les hommes sont souvent dans une grande erreur ; ils pensent que leur honnêteté dans les grandes choses prouve l'honnêteté de leur cœur, en dépit de la déloyauté dont ils font preuve dans les petites choses. C'est pourquoi ils ne manquent pas d'être sur leurs gardes dans les grandes choses, tandis qu'ils sont pleins d'insouciance dans les petites ; c'est ainsi qu'ils manifestent le véritable état de leur cœur. Ils ne voient pas que leur honnêteté dans les grandes choses découle d'un principe mauvais ; qu'elle procède du désir de paraître honnête et non pas de la détermination d'être honnête.
Ils ne font pas attention à leurs petites fraudes, parce que leur attention se porte sur celles des manifestations de leur caractère qui paraissent le plus en public, et qu'ils tiennent leur honnêteté pour bien établie, tandis que leur cœur est profondément corrompu. Celui qui s'écarte de la stricte intégrité dans de petites choses quand il n'est pas surveillé, ne se conduit pas par principe, ce n'est pas l'honnêteté du cœur qui le fait agir. Si vous voulez connaître votre vrai caractère, examinez votre cœur et observez comment la disposition qui y domine se manifeste dans les petites choses.
Vous êtes, par exemple, employé au service d'autrui et vous ne vous faites aucun scrupule de flâner de temps en temps, quand votre maître n'y est pas. Dans ces moments-là vous abandonnez le travail ou vous le faites mal, ce que vous ne feriez pas sous les yeux de votre maître. L'homme qui agit de la sorte est complètement (1) malhonnête et ne mérite aucune confiance ; il prendrait de l'argent dans la bourse de son maître s'il n'était pas retenu par la crainte d'être découvert ou par tout autre motif également égoïste. On ne pourra se fier à lui que dans les circonstances où son intérêt exigera de lui une conduite honnête.
Ceux qui, le sachant et le voulant, rapportent inexactement dans leurs conversations les faits qu'ils connaissent, seront faux témoins devant les tribunaux quand ils y seront poussés par l'intérêt et que l'impunité leur sera assurée. Ils ne disent jamais la vérité parce qu'elle est la vérité ; ils ne la disent pas parce qu'ils l'aiment. N'ayez jamais confiance en eux.
Ceux qui sont impurs dans leurs paroles, le seront dans leur conduite, moyennant opportunité et impunité. Tenez à distance tout homme et toute femme qui se permettra des discours impurs, ne fût-ce qu'en conversant avec ceux de son sexe. Ceux qui sont chastes par principe n'auront pas moins d'éloignement pour les paroles impures que pour les actes impurs. Ils auront, en horreur « même la tunique souillée par la chair (Jude 1 v. 23) ».
(1) Complètement, dit Finney ; peut-être n'en sera-t-il pas ainsi aux yeux des hommes, qui regardent aux apparences ; mais il en sera ainsi aux yeux de Dieu qui regarde au cœur ; il en sera ainsi en réalité (Note du traducteur).
2. Quiconque se livre volontairement à un péché quelconque montre par là qu'il ne s'abstient pas des autres péchés parce qu'ils sont des péchés.
S'il haïssait le péché comme tel, il ne se livrerait pas plus à un péché qu'à un autre. Si quelqu'un s'en va choisir parmi les péchés évitant l'un, pratiquant l'autre, il est évident qu'il ne s'abstient d'aucun péché par haine du péché ou par respect pour l'autorité de Dieu (1).
(1) Nous omettons ici, à propos de l’œuvre de la tempérance, une remarque qui, à sa place en Amérique, ne le serait pas parmi nous (Note du traducteur).
3. Celui qui pour gagner de l'argent vend des liqueurs enivrantes et présente à sou prochain la coupe qui va ruiner son corps et son âme ; consentirait à vendre son semblable comme esclave, s'il y trouvait son bénéfice et sa convenance, et s'il pouvait, le faire avec impunité.
Si l'égoïsme est si puissant en lui, qu'il puisse consentir à donner des liqueurs fortes à son prochain, afin d'en retirer de l'argent, l'égoïsme seul, sous quelque autre forme venant à prévaloir sur l'amour de l'argent, pourra l'empêcher d'assassiner son prochain ou de le vendre comme esclave. Il peut aimer assez sa réputation, craindre assez les pénalités de la loi humaine, ou redouter assez la destruction de sa propre âme pour renoncer à commettre un pareil crime ; mais ce n'est certainement pas le principe de l'amour de Dieu et des hommes qui l'en préservera.
4. Celui qui tient dans l'esclavage quelques-uns de ses semblables, afin de parvenir à ses fins égoïstes, réduirait en esclavage beaucoup d'autres personnes et même tout le monde, si ses intérêts le demandaient et s'il avait pour cela les facilités qu'il a eues à l'égard des esclaves qu'il possède déjà.
Si un homme s'empare des droits d'un seul de ses semblables, il n'aura aucune répugnance à s'emparer des droits de tous les hommes, s'il peut le faire avec la même impunité. Celui qui dépouille un homme noir de sa liberté et en fait un esclave, ne se fera aucun scrupule de réduire en esclavage un homme blanc, s'il rencontre pour cela des circonstances également favorables.
Celui qui soutient que le travailleur noir du sud doit être tenu en esclavage, soutiendrait une thèse semblable, s'il l'osait, afin de réduire en esclavage les travailleurs blancs du nord ; il se servirait pour cela des mêmes arguments ; il dirait que la paix et l'ordre l'exigent et que les travailleurs s'en trouvent beaucoup mieux quand ils ont un maître qui prend soin d'eux. Le fameux argument biblique, lui aussi, se trouverait aussi bon en faveur de l'esclavage des blancs qu'en faveur de l'esclavage des noirs ; il faudrait seulement avoir assez de puissance pour le traduire par des faits.
Il est clair que celui qui détient, son prochain comme sa propriété, pourra de même le prendre comme sa propriété, s'il peut le faire avec la même impunité. En principe, les deux choses sont parfaitement identiques. Ce ne sont donc point leurs principes qui empêchent les esclavagistes de faire, en Afrique, le métier de voleurs d'hommes ou de faire la guerre afin de réduire en esclavage les libres travailleurs du Nord.
5. Celui qui ne veut pas renoncer à lui-même dans les petites choses afin d'avancer le règne de Dieu, ne serait pas prêt à endurer la persécution pour la cause de Dieu.
Il est clair que ceux qui ne peuvent renoncer à leur confort ne voudraient ni du fouet ni du bûcher. Peut-être cependant que si la persécution venait à sévir, quelques-uns l'endureraient à cause des louanges qui leur en reviendraient ; ils se piqueraient d'honneur et tiendraient à montrer leur vaillance. Il y a naturellement chez l'homme un esprit de résistance qui est souvent réveillé par la lutte et qui est capable de lui faire accepter le bûcher plutôt que de céder en un seul point. Toujours est-il que ce n'est pas le vrai amour pour la cause de l’Évangile qui pousse un homme à endurer la persécution, alors qu'il ne veut pas renoncer à lui-même dans les petites choses pour le même motif.
6. Les petites circonstances manifestent souvent le véritable état du cœur.
Si nous voyons quelqu'un être malhonnête dans de petites choses, nous en conclurons naturellement qu'il le serait encore plus dans de grandes choses si les circonstances étaient également favorables.
Si vous trouvez une personne qui, par vanité, porte de petits ornements, vous pouvez être sûr que le cœur de cette personne-là est encore mauvais. Si une telle personne le pouvait, elle s'adonnerait tout entière à la vanité ; elle le ferait certainement, si elle n'avait pas d'autres considérations pour la retenir que le respect pour l'autorité de Dieu et l'honneur de la religion. Vous avez tous les jours dans les rues l'occasion de faire de semblables réflexions. Vous y voyez des hommes portant leurs manteaux très soigneusement arrangés sur leurs épaules, de manière à en montrer le velours ; des femmes faisant balancer dans l'air les plumets de leurs chapeaux. Il est étonnant de voir de combien de façons l'orgueil et la perversité du cœur se montrent dans les petites choses.
Vous dites que ce sont de petites choses ; je le sais, et c'est précisément parce que ce sont de petites choses que je les mentionne. C'est parce qu'elles sont petites qu'elles montrent si clairement le vrai caractère des gens. Si l'orgueil n'était pas si profondément enraciné, il ne se montrerait pas en ces petites choses. Si un homme pouvait s'accorder la satisfaction d'habiter dans un palais et de vivre à l'avenant, on s'étonnerait moins qu'il succombât à une tentation si forte ; mais quand sa vanité se montre dans les plus petites choses, il est évident qu'elle possède son âme entière.
Qu'il est important de connaître tout cela et de rester dans la vigilance, l’œil ouvert sur les petites choses, de manière à savoir réellement ce que l'on est aux yeux de Dieu !
Qu'il est important de garder la plus stricte honnêteté de manière à ce qu'elle règle la conduite dans les plus petites choses aussi bien que dans les grandes ! C'est quelque chose de si beau que de voir un homme agissant dans les petites choses avec le même soin, la même conscience, la même droiture que dans les choses de la plus grande importance ! Tant que ceux qui font profession de piété ne cultiveront pas cette honnêteté en toutes choses, ils seront un opprobre pour la religion.
Quel immense gain ne serait-ce pas pour la cause du Seigneur, si ceux qui font profession d'être chrétiens voulaient montrer une entière honnêteté, une entière pureté en toutes choses, vis-à-vis de tout le monde, de manière à rendre la religion recommandable aux yeux des incrédules ! Qu'il est fréquent de voir ceux-ci fixer leur regard sur quelque petite infidélité du chrétien et s'étonner de rencontrer semblable chose dans la vie de celui qui prétend avoir la crainte de Dieu ! C'est un sujet constant de reproches adressés à la religion que toutes ces petites malhonnêtetés dont se rendent coupables beaucoup de ceux lui la professent. Le méchant ne manque pas de raisons pour croire que ces chrétiens de nom sont dénués de tout principe d'honnêteté, que la religion qu'ils professent n'est bonne à rien et qu'il ne vaut pas la peine de l'acquérir.
De quelle utilité peut-il être que cette dame parle de religion à sa servante inconvertie, quand celle-ci sait fort bien que sa maîtresse n'hésiterait pas à tromper et à tricher en quantité de petites choses ? Ou à quoi servirait-il que ce marchand parlât à ses commis du salut de leurs âmes, tant qu'ils le voient peu consciencieux dans les petites choses, malgré tout le soin qu'il a de conserver les apparences de l'honnêteté dans des affaires plus considérables et mieux connues du public ? Les exhortations de cet homme-là feraient plus de mal que de bien.
Un message de Charles Finney
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