Apprendre à marcher seul

Apprendre à marcher seul

La solitude semble être le prix que le saint doive payer pour sa sainteté. À l'aube du monde,  après l'aube de la création de l'homme, Enoch marchait avec Dieu, et il ne fut plus, parce que Dieu le prit.

Bien que cela ne soit pas écrit aussi clairement, il est très probable qu'Enoch suivit un chemin complètement séparé de celui de ses contemporains. Noé fut un autre solitaire qui, parmi tous les hommes antédiluviens, trouva grâce devant le Seigneur. Tout semble montrer qu'il vécut une vie solitaire, au milieu même de son propre peuple. Abraham bénéficiait de la compagnie de Sarah et de Lot. Il possédait aussi de très nombreux serviteurs et bergers. Mais tous ceux qui lisent son histoire, ainsi que les commentaires qu'en firent les apôtres, ne peuvent aussitôt manquer de remarquer qu'il fut un homme dont l'âme était comme une étoile, et qui demeurait à part.

Pour autant que nous le sachions, Dieu lui a toujours parlé alors qu'il était loin de toute compagnie humaine. Face contre terre, il communiait avec son Dieu. Une dignité humaine innée lui interdisait d'adopter cette posture en présence des autres. Combien solennelle et douce fut cette scène nocturne, la nuit où il fit un sacrifice, et où il vit des flammes de feu se déplacer au milieu des offrandes partagées ! Là, seul au milieu de l'horreur de ces profondes ténèbres, il entendit la voix de Dieu, et sut qu'il était un homme marqué par la faveur divine.

Moïse aussi fut un homme à part. Alors qu'il était encore attaché à la cour de Pharaon, il entreprenait de longues marches solitaires. C'est au cours de l'une de ces marches, loin des foules, qu'il aperçut un Hébreu et un Égyptien se battre, et qu'il vint au secours de son compatriote. Cela entraîna sa fuite hors d'Égypte, et il demeura dans le désert, dans une réclusion presque totale. Là, alors qu'il gardait seul ses brebis, il vit le miracle du buisson ardent. Plus tard, au sommet du Sinaï, il se tapit, solitaire, rempli d'une fascination respectueuse, pour contempler la Présence divine, partiellement manifestée au milieu des nuées et des flammes.

Une solitude forcée

Les prophètes des époques antérieures au christianisme furent très différents les uns des autres. Mais ils avaient en commun un signe distinctif : Leur solitude forcée.

Ils aimaient leur peuple et glorifiaient la religion de leurs pères, mais leur loyauté au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, ainsi que leur zèle pour la nation d'Israël, les ont éloignés des foules, pour passer par de longues périodes d'abattement. « Je suis devenu un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère » (Psaume 69 v. 8), s'est exclamé l'un d'eux, qui s'exprimait sans le savoir pour tous les autres.

Mais le plus révélateur fut la vie de celui dont Moïse et tous les prophètes ont parlé. Il a suivi sa route solitaire vers la croix. Sa profonde solitude ne fut jamais comblée par la présence des multitudes. Il est mort seul dans les ténèbres, caché de la vue des mortels. Personne n'était là quand Il est sorti triomphant du tombeau, quoique beaucoup le virent par la suite et rendirent témoignage de ce qu'ils avaient vu.

Certaines choses sont trop sacrées pour qu'aucun œil ne puisse les regarder, si ce n'est l'œil de Dieu. La curiosité, les clameurs, les efforts sincères mais maladroits de ceux qui veulent aider ne peuvent qu'obliger à se contenir l'âme qui s'attend à Dieu, et gêner, sinon rendre impossible, la communication du message secret révélé par Dieu au cœur plongé dans l'adoration.

Nous réagissons parfois comme mus par un réflexe religieux, et nous continuons à répéter les mêmes phrases et les mêmes mots, même s'ils sont impuissants à exprimer nos sentiments réels et à traduire l'authenticité d'une expérience personnelle. Nous vivons en ce moment même à une époque semblable. Poussé par une certaine loyauté conventionnelle, quelqu'un, en entendant pour la première fois cette vérité inhabituelle, pourrait dire sur un ton vif : « Oh, je ne suis jamais seul ! Christ a dit : « Je ne te quitterai jamais, et ne t'abandonnerai jamais », et aussi : « Voici, je suis avec vous tous les jours ». Comment pourrais-je être seul, puisque Jésus est avec moi ? »

Je ne veux pas douter de la sincérité d'un tel Chrétien, mais ce témoignage, donné comme une vérité toute faite, est trop beau pour être vrai. Il est évident que c'est ce que cette personne souhaite être vrai pour elle. Mais ce n'est pas une vérité personnelle forgée par l'expérience.

Ce joyeux refus de reconnaître la solitude prouve seulement qu'il s'agit de quelqu'un qui n'a jamais vraiment marché avec Dieu sans le secours et l'encouragement apportés par la société. Le sentiment de communion que l'on attribue souvent à tort à la présence de Christ peut facilement être produit par la présence de gens qui nous entourent de leur amitié.

Rappelez-vous toujours ceci ; on ne porte jamais sa croix à plusieurs ! Même quand nous sommes entourés d'une grande foule, notre croix nous est personnelle. Le simple fait de la porter fait déjà de nous un être à part. La société s'est déjà tournée contre nous. Sinon, nous n'aurions pas de croix à porter ! Personne ne veut être l'ami de quelqu'un qui porte une croix. « Ils l'abandonnèrent tous, et s'enfuirent » (Marc 14 v. 50).

La douleur provoquée par la solitude provient de la constitution de notre nature. Dieu nous a faits les uns pour les autres. Le désir d'une compagnie humaine est entièrement naturel et normal. La solitude du Chrétien vient du fait qu'il marche avec Dieu dans un monde impie. Cette marche doit même le couper de la communion de beaucoup de bons Chrétiens, comme de la communion d'un monde non régénéré.

Le saint solitaire, par l'instinct que lui a donné Dieu, aspire ardemment à la communion avec ses semblables, avec ceux qui peuvent comprendre ses désirs, ses aspirations, et son besoin vital de l'amour de Christ. Mais il est obligé de marcher seul, car il y a si peu d'êtres, dans son cercle d'amis proches, qui partagent ses expériences intimes ! Les aspirations insatisfaites des prophètes, et leur désir d'être compris par leurs semblables, les ont poussés à donner libre cours à leurs complaintes. Notre Seigneur aussi a connu les mêmes souffrances.

Un homme qui a pénétré dans la Présence divine, par une véritable expérience intérieure, ne rencontrera pas beaucoup de personnes qui le comprendront. Bien entendu, il ne manquera pas d'une certaine communion sociale, quand il se mêlera à ses frères, dans les activités habituelles de l'Église. Mais il aura du mal à trouver une vraie communion fraternelle. Toutefois, il ne doit pas s'attendre à autre chose. Après tout, il est un étranger et un voyageur.

Le voyage qu'il a entrepris se fait avec son cœur et non avec ses pieds. Il marche avec Dieu dans le jardin de sa propre âme. Qui, sinon Dieu, peut y marcher avec lui ? Il a un esprit différent de celui des multitudes qui fréquentent les parvis de la maison du Seigneur. Il a vu ce dont les autres ont seulement entendu parler. Il marche au milieu d'eux un peu comme Zacharie marchait au milieu du peuple, en revenant de l'autel des parfums, et que les gens disaient : « Il a eu une vision ! »

S'occuper des intérêts d'un Autre

L'homme véritablement spirituel est en réalité une bizarrerie. Il ne vit pas pour lui-même, mais s'occupe des intérêts d'un Autre. Il cherche à persuader les gens de tout donner à son Seigneur, et ne réclame rien pour lui-même. Il trouve son délice à ne pas être honoré, mais à voir son Sauveur glorifié aux yeux des hommes. Sa joie consiste à voir son Seigneur exalté, et lui-même négligé. Il rencontre peu de gens désirant parler de ce qui est le suprême objet de son intérêt. Il reste donc souvent silencieux et préoccupé, au milieu du brouhaha des bavardages religieux. À cause de cela, il a gagné la réputation d'être ennuyeux et exagérément sérieux. On l'évite donc, et le fossé se creuse entre lui et le reste de la société. Il cherche des amis dont les vêtements pourraient exhaler l'odeur de la myrrhe, de l'aloès et de l'acacia venant des palais d'ivoire, mais il en trouve peu, s'il en trouve. Comme la Marie d'autrefois, il garde ces choses dans son cœur.

C'est cette solitude même qui le pousse dans la présence de Dieu. « Car mon père et ma mère m'abandonnent, mais l'Éternel me recueillera » (Psaume 27 v. 10). Son incapacité à trouver une amitié humaine le pousse à chercher en Dieu ce qu'il ne peut trouver nulle part ailleurs. Dans sa solitude intérieure, il apprend ce qu'il ne pourrait jamais apprendre au milieu de la foule : Que Christ est tout en tous, qu'Il a été fait pour nous sagesse, justice, sanctification et rédemption, et qu'en lui nous possédons le bien suprême de la vie.

Je dois encore dire deux choses

- La première, c'est que l'homme solitaire dont nous parlons n'est pas un homme hautain, ni quelqu'un qui se croit plus saint que les autres. Il n'est pas ce saint austère férocement satirisé dans la littérature populaire. Il est porté à penser qu'il est le dernier de tous les hommes, et se rend seul responsable de sa solitude même. Il veut partager ses sentiments avec les autres, et reste prêt à ouvrir son cœur à toute âme qui partagerait ses aspirations, et qui serait prête à le comprendre. Mais le climat spirituel qui l'entoure n'encourage pas ces partages. Il reste donc dans le silence et raconte ses chagrins à Dieu seul.

- La seconde chose, c'est que le saint solitaire n'est pas un homme replié sur lui-même, qui se serait endurci contre les souffrances des hommes, et qui passerait ses journées à contempler le ciel. C'est même tout le contraire. Sa solitude le prédispose à sympathiser avec ceux qui ont le cœur brisé, ceux qui sont tombés, et ceux qui ont été blessés par le péché. Parce qu'il est détaché du monde, il est d'autant plus apte à aider ceux qui sont dans le monde.

Maître Eckhart enseignait à ses disciples que s'ils étaient enlevés au troisième ciel, alors qu'ils étaient en prière, et qu'ils se rappelaient, juste à ce moment précis, qu'une pauvre veuve avait besoin de manger, ils devaient interrompre aussitôt leur prière pour aller prendre soin de cette veuve. Il ajoutait : « Dieu ne permettra pas que vous subissiez la moindre perte spirituelle en faisant cela ! Vous pourrez reprendre plus tard votre prière, et le Seigneur vous rejoindra au point où vous étiez auparavant ! » Cet enseignement est typique des grands mystiques et des maîtres de la vie intérieure, depuis Paul jusqu'à nos jours.

La faiblesse de tant de Chrétiens modernes est due au fait qu'ils se sentent trop à l'aise dans ce monde. Dans leurs efforts pour « s'ajuster » paisiblement à une société non régénérée, ils ont perdu leur caractère de pèlerin. Ils sont devenus une partie essentielle de ce même ordre moral qu'ils avaient la mission de combattre. Le monde les reconnaît et les accepte pour ce qu'ils sont.

Et c'est la chose la plus triste que l'on puisse dire en ce qui les concerne. Ils ne sont pas solitaires. Mais ils ne sont pas non plus saints !

 

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